Cette question, c’est Gaëtan, un jeune homme de 23 ans de Namur, qui nous l’a posée. Il pensait avoir toutes ses chances de faire partie des heureux élus qui pourront prendre part à cette formation ultra-prisée en février. Mais le jury de sélection en a décidé autrement. Pourquoi y a-t-il une sélection si sévère et comment notre témoin va-t-il retenter sa chance ? Plongée dans l’univers d’une formation Forem pas comme les autres.
"J'estime vivre une injustice." C’est avec ces mots que Gaëtan a contacté la rédaction de RTLinfo.be via notre page Alertez-nous. "Je n’ai pas terminé mes études. Je les ai arrêtées pour commencer à travailler dans la vente", explique le jeune homme. Un domaine qui ne demande aucune véritable qualification préalable. Ce qui s’est avéré être un avantage pour lui, mais aussi un inconvénient. "En tant que vendeurs, on va de contrats de 3 mois en contrats de 3 mois. Dans ce domaine, n’importe qui sans qualification peut venir vous prendre votre travail ! Ce n’est plus possible."
Une profession protégée avec un salaire attractif
Partant de ce constat, Gaëtan a souhaité se réorienter et obtenir un diplôme. "Je ne possède aucune qualification. C’est pour obtenir plus de sécurité d’emploi que j’ai souhaité obtenir mon Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) via une formation Forem." Il a donc arrêté les intérims dans la vente. "Je ne touche aucune allocation d'insertion. Sans ma famille, je vivrais dans la rue sans le sous depuis un an." Puis il s’est inscrit à la formation de Conducteur Poids Lourd auprès du centre de formation de Mornimont (Jemeppe-sur-Sambre). Ce métier, qui nécessite en effet l’obtention d’un CAP depuis septembre 2009, l’attirait particulièrement: "Je souhaite faire du transport alimentaire ou de produits dangereux, comme de l’essence pour les stations-service. Ce sont des contrats à durée indéterminée, temps plein, avec 1800€ par mois d’entrée…"
Tests réussis et bon rapport de stage
C’est armé de toute sa motivation qu’il passe les premières étapes de l’inscription. "J’ai téléphoné pendant 6 mois toutes les semaines pour obtenir une place dans cette formation car elle a longtemps été complète. Finalement, je réussis les examens d'entrée", constitués, comme pour toutes les formations du Forem, d'un test sur l’aptitude au calcul (les 4 opérations fondamentales), d’un test de compréhension au français et d’un entretien dit de faisabilité, pour vérifier la cohérence du projet professionnel. Pour accéder à la formation poids-lourds s’ajoute une autre étape : un petit test sur véhicule, qui se réalise en camionnette pour vérifier les aptitudes à la conduite des candidats.
Gaëtan les réussit donc et trouve un stage en entreprise. "Tous ceux qui postulent doivent en effet trouver eux-mêmes un stage en entreprise, où on travaille avec des chauffeurs pour faire les livraisons", explique le jeune homme. "J’ai réalisé le mien chez Euro Famenne Truck" à Baillonville près de Marche-en-Famenne. "J’avais reçu un bon rapport qui témoigne de ma motivation. Il était irréprochable. Le patron a clairement dit que j’étais tout à fait apte."
"Un cas à part"
C’est lors de la dernière étape de sélection que le problème s’est posé. Le 30 novembre, Gaëtan passe devant un jury chargé de trier les candidatures. "Malgré avoir absolument tout réussi, être dans une situation précaire et avoir le profil-type pour l'adhésion à cette formation, un jury décide de me refuser ce droit", déplore-t-il. En effet, une semaine après son passage devant ce comité de sélection, il reçoit une lettre du Forem lui indiquant : "Nous avons le regret de vous informer que votre candidature pour cette formation n’a pu être retenue."
Une catastrophe pour le jeune demandeur d’emploi, qui ne comprend pas pourquoi d’autres auraient le droit à une formation et lui pas, alors qu’il pensait correspondre au profil. Il faut dire que ces formations de conducteur poids-lourds "sont un cas à part", nous explique Stéphanie Wyard, la porte-parole du Forem.
"On a tellement de demandes et cela représente un tel coût qu’on doit mettre des priorités"
C’est en effet la seule formation pour laquelle le Forem doit fonctionner avec une liste d’attente dans tous ses centres. Pourquoi ? D’une part, la demande pour ces formations, qui permettent d’obtenir gratuitement le permis camion, est énorme. En 2014 par exemple, 2.738 personnes s’étaient inscrites à cette formation organisée dans 5 centres de compétence de Wallonie. Mais seules 1.154 formations avaient pu être données. 58% des candidats avaient donc été refusés ou remis sur liste d’attente.
L’autre raison, c’est que contrairement à des cours essentiellement théoriques où il "suffit" d’ajouter des chaises, le Forem est ici limité au niveau matériel. Le nombre de places disponibles est fonction du nombre de camions et de formateurs présents dans chaque centre. En tout, le Forem dispose de 46 formateurs, 51 véhicules et 2 simulateurs de conduite répartis dans ces centres (voir encadré) et organise 8 sessions de formation par an dans chaque centre. Ce matériel en fait une formation particulièrement coûteuse pour le Forem.
Voilà pourquoi un jury doit décider si oui ou non un candidat peut accéder à la formation. "On a tellement de demandes et cela représente un tel coût qu’on doit mettre des priorités", résume Stéphanie Wyard.
Peu de candidats réussissent la formation, d'où l'importance de bien les sélectionner
Les chiffres de 2014 montrent que sur les 1.154 candidats qui avaient été acceptés dans cette formation, seuls 381 avaient obtenu leur permis C (camions de + 7,5T ) et 300 leur permis C+E (avec remorque de + de 750 kg), soit à peine 26% des candidats. Sur les 11 premiers mois de 2015, plus de candidats ont été acceptés: 48%. Mais l’an dernier, seuls 17,5% de ceux-ci sont sortis avec leur permis C+E…
Ce faible pourcentage de réussite prouve l’importance du choix réalisé par les membres du jury, qui ne sont pas les premiers venus. "Ils sont composés de formateurs, de responsables de formations, de personnes avec un bagage en ressources humaines. Ce sont des professionnels, qui voient des dizaines de personnes par jour", justifie Mme Wyard. "Ils posent leur choix en fonction de certains critères, mais ce choix sera toujours personnalisé en fonction du candidat. Ils ne se contentent pas de cocher des cases. Ils travaillent comme pour un entretien pour un job. Ils évaluent le profil, l’expérience professionnelle, le vécu, les recherches et critères de recherche des candidats" aux formations. Seul un seul critère permet d’être pris en priorité dans cette formation poids-lourds : "Si le conseiller référent (tout demandeur d’emploi en a un) dit au responsable d’une formation qu’il a un demandeur d’emploi qui en a absolument besoin, alors il sera prioritaire."
Les raisons invoquées par le jury contestées par Gaëtan
Pour elle, si Gaëtan a été refusé et non placé sur une liste d’attente, c’est que le jury avait de bonnes raisons. "Je connais les formateurs et ils ne mettront jamais quelqu’un de côté pour de simples raisons de manque de place. On poussera les murs si nécessaire. Mais on doit être qualitatifs dans le choix des formations, car elles ont une durée longue et un coût important. Ici, les personnes du jury ont estimé qu’il n’avait pas sa place. Il faut bien faire la différence entre aptitudes et attitude. Peut-être que ça ne se passait pas bien à ce niveau. Il ne faut pas donner l’impression qu’on sait déjà tout sur ce qu’on va nous apprendre dans la formation…", conseille-t-elle aux futurs candidats.
Quand il a reçu la lettre du Forem, Gaëtan a bien entendu voulu savoir pourquoi il avait été recalé. Il a appelé le numéro renseigné à cet effet dans la missive et obtenu des explications : "Manque de motivation, n’accepte pas les remarques, projet professionnel peu clair et manque de recherches d’emploi." Des raisons qu’il conteste vivement. Pour lui, appeler le centre chaque semaine pendant 6 mois pour obtenir une place, ça témoigne suffisamment de sa motivation. "Pour les remarques, je n’en ai reçue qu’une seule lors du test sur route et j’ai seulement expliqué mon point de vue." Il estime aussi son projet personnel fondé et regrette que, selon lui, "ils se sont basés sur mon curriculum vitae pour juger que je ne recherchais pas assez un emploi".
Il ne lâchera rien et espère que son recours aboutira
Loin de baisser les bras, Gaëtan a donc écrit au responsable du centre de Mornimont pour déposer un recours. Pour lui, son cas aurait dû avoir la priorité sur d’autres. "Un stagiaire qui sort tout juste de l'école, diplômé, et qui n'a encore fait aucune démarche pour trouver un emploi car il voulait le permis C+E avant de commencer à travailler, s'est vu pris en formation. Pourquoi un demandeur d'emploi de longue durée motivé, sans qualification et sans revenu, est mis au second plan derrière des jeunes diplômés fraîchement demandeurs d'emploi et qui, eux, possèdent un revenu d'intégration sociale ?", demandait-il dans ce courrier.
Gaëtan attend aujourd’hui une réponse de sa part, qu’il devrait recevoir courant de ce mois de janvier. Et il ne lâchera rien. "Mon objectif, c’est de retenter ma chance. Si je n’y arrive vraiment pas, il faudra que j’essaie autre chose. Mais je suis toujours focalisé pour avoir mon permis de chauffeur poids lourds." Si son recours n’aboutit pas, Gaëtan pourra toujours se réinscrire, fort des remarques qui lui ont été faites. "Je devrai montrer une motivation encore plus grande."
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