Les futurs diplômés en psychologie clinique se disent minés par l’inquiétude. Ils doivent réaliser un nouveau stage obligatoire après leurs études. Mais ces étudiants disposent de très peu d’informations à ce sujet et craignent de devoir faire du "bénévolat" pendant un an. Une situation dénoncée auprès du monde politique.
"Nous sommes stressés et en colère", confie Angeline via notre bouton orange Alertez-nous. Cette étudiante en dernière année de master en psychologie clinique dénonce une situation "inquiétante".
Le problème ? Un arrêté royal adopté en 2019 qui impose un stage obligatoire après les cinq années d’études. Tous les étudiants en dernière année de psychologie clinique sont dorénavant censés réaliser ce stage professionnel afin d’obtenir l’agrément de psychologue clinicien.
"Le temps passe et le flou persiste"
"Notre promotion est la première à devoir le faire. On l’a appris récemment après déjà plusieurs années d’études. Au début, c’était des bruits de couloir et puis cela s’est confirmé. Et le problème, c’est que nous n’avons quasiment aucune information à ce sujet", déplore Vanessa, étudiante à l’Université Libre de Bruxelles, qui nous a également contactés. "Le temps passe et le flou persiste. C’est très inconfortable et de plus en plus stressant", ajoute-t-elle.
Les modalités pratiques de ce stage semblent en effet très peu claires. Et ce manque de clarté alimente leurs inquiétudes. "J’ai même croisé une étudiante dans les couloirs qui pleurait parce qu’elle ne comprend rien", témoigne Vanessa.
Un stage pratique de 42 semaines à temps plein
D’après les étudiants, les seuls renseignements disponibles concernent la durée et l’objectif de ce stage. "Nous devrons réaliser un stage pratique de 1.680 heures, soit 42 semaines à temps plein. Il concerne tous ceux qui ont débuté leur cursus académique en 2017", explique Angeline.
Comme l’indique la Commission des psychologues sur son site internet, pendant ce stage, "le candidat psychologue clinicien devra établir suffisamment de dossiers psychologiques cliniques de patients dans lesquels il documente le diagnostic psychosocial et le suivi longitudinal".Toutefois, une première imprécision apparaît. "Le législateur ne précise pas ce qu'il faut entendre par "suffisamment"", souligne la Commission.
Il n'est pas clair s’il s’agit d’une simple indemnisation des frais ou d'une rémunération
Une autre zone d’ombre concerne la rémunération des candidats psychologues cliniciens. D’après l’arrêté royal, ils ont droit à une indemnisation pendant leur stage. Mais le législateur n’a pas émis de directives plus concrètes à ce sujet. "Il n'est donc pas clair s’il s’agit d’une simple indemnisation des frais du candidat psychologue clinicien, tels que les frais de transport, ou s'il s’agit d'une rémunération effective et donc d'un stage rémunéré", relève la Commission.
"La rémunération n’est pas claire. D’après la loi, elle est possible. Ce qui limite toutes les chances d’être rémunéré parce qu’il y a beaucoup trop de concurrence. Rien que dans mon année, à l’ULB, nous sommes 500 étudiants", craint Vanessa. Comme pour beaucoup d’autres étudiants, cette situation serait catastrophique au niveau financier. "Dans ma situation, en tant que maman d’une petite fille qui a repris des études, ce serait vraiment très compliqué. Ne pas avoir de rémunération pendant un an, c’est faire du bénévolat en fait", ironise-t-elle avec une pointe d’inquiétude.
"On ne pourra plus être étudiant, ni chômeur"
D’autant plus que ces diplômés vont perdre leur statut d’étudiant puisque ils ne seront plus associés à une université. "Et nous n’aurons pas non plus le statut de chômeur puisque nous ne serons pas disponibles sur le marché de l’emploi. On aura donc un statut de bâtards", regrette l’étudiante.
Vanessa estime qu’il s’agit d’un manque de considération inacceptable. "En gros, on doit travailler pendant un an sans pouvoir passé du temps avec sa famille et sans être payé. C’est vraiment comme une punition !"
Il y aura un grand manque de maîtres de stage
Dans un communiqué de presse, les étudiants soulèvent également un autre problème de taille : la difficulté de trouver un maître de stage agréé. Pour pouvoir encadrer un stagiaire, ce professionnel doit remplir toute une série de critères. Il doit notamment avoir au moins 5 ans d’expérience professionnelle et suivre une formation de supervision et d’évaluation des candidats psychologues. "Il est certain qu’il y aura un grand manque de maîtres de stage. La procédure pour obtenir ce titre est longue et coûteuse. Peu de personnes connaissent cette nouvelle loi", déplorent les étudiants.
Et étant donné que le nombre d’étudiants en psychologie ne fait que croître d’année en année, la compétition pour trouver un stage est déjà féroce. "Ce qui signifie qu’une réelle compétition à l’obtention d’un stage risque de s’installer", ajoutent les étudiants.
Trouver un lieu de stage, tout sauf facile
Une situation anxiogène confirmée par Vanessa. "C’est déjà compliqué de trouver un lieu de stage pendant notre cursus et là on nous rajoute une année supplémentaire. Cette exigence nous stresse car nous sommes censés lancer maintenant les démarches pour espérer trouver un stage", souffle la mère de famille. "Sans oublier les conditions sanitaires qui compliquent les choses. Honnêtement, c’est difficile de ne pas décrocher scolairement".
Que se passera-t-il si certains diplômés ne réalisent pas ce stage ? Là encore, le doute plane. "A priori, on pourra être psychologue indépendant mais pas psychologue clinicien. Ce n’est pas clair non plus en fait. Moi-même je ne comprends pas entièrement la différence, à part qu’on ne pourra certainement postuler qu’à très peu de postes", s’interroge Vanessa.
Glatigny demande à Vandenbroucke de reporter cette loi
Le comité des étudiants a contacté Valérie Glatigny, la ministre de l’Enseignement supérieur, pour tenter de trouver une solution. "Elle assure comprendre notre inquiétude et aurait demandé au fédéral de reporter d’un an l’application de cette loi", indique Vanessa.
Le porte-parole de la ministre rappelle en effet que cette obligation de réaliser une année supplémentaire de stage pour obtenir l’agrément indispensable à la pratique est prévue par le gouvernement fédéral : "Cette décision a été prise par le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke". Olivier Schotte admet ensuite l’insuffisance actuelle du nombre de maîtres de stages agréés : "Il s’agit à nouveau d’une compétence fédérale. Mais cette réalité rend la réalisation de ce stage très difficile dans la pratique".
Le porte-parole confirme ensuite que Valérie Glatigny a rencontré en octobre des étudiants qui l’avaient interpellés sur cette situation. "Comme elle s’y était engagée auprès d’eux, la ministre a écrit au ministre Vandenbroucke pour lui demander de postposer l’application de l’arrêté royal", assure Olivier Schotte.
Nous ferons tout pour trouver une solution qui ne lèse pas ces étudiants
Les étudiants ont donc également contacté le ministre de la Santé pour lui exposer leurs inquiétudes. Mais ils assurent attendre toujours une réponse positive de sa part.
En réaction, le cabinet de Frank Vandenbroucke affirme qu’un "groupe de travail a rédigé un texte de vision sur le stage professionnel" et que "les discussions sont toujours en cours dans un esprit constructif". La porte-parole du ministre rappelle que cette situation actuelle découle de décisions du précédent gouvernement. "Nous ferons tout pour trouver une solution qui ne lèse pas ces étudiants", assure-t-elle.
Une "bonne nouvelle" bientôt confirmée ?
De son côté, le porte-parole de la ministre de l’enseignement se montre plus optimiste, tout en restant prudent. "L’intervention des étudiants semble avoir porté ses fruits. Il me revient en effet que l’application de l’arrêté serait postposée d’un an. Les étudiants diplômés cette année ne devraient donc pas réaliser le stage en question. Cela serait une bonne nouvelle pour les étudiants", dévoile Olivier Schotte. "Il semble également qu’un projet pilote soit mis en place à partir de l’année 2022-2023 par le gouvernement fédéral", ajoute-t-il.
En tout cas, si cette bonne nouvelle n’est pas confirmée par le ministre de la Santé, les étudiants comptent bien continuer à se faire entendre, en manifestant si nécessaire.
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