Chaque jour, Nadège franchit le chantier de la E411 à hauteur du viaduc de Custinne (province de Namur). Et chaque jour, elle se fait dépasser par des gens qui ne respectent pas du tout les limitations de vitesse. Parfois, il lui arrive même de se faire intimider par des conducteurs "bloqués" derrière elle. Face à de tels comportement, elle s'interroge. Pourquoi n'y a-t-il pas plus souvent un radar dans ce secteur en travaux ?
Nadège est révoltée. Chaque jour, pour aller travailler, elle traverse le chantier situé entre les sorties 21 et 22 de la E411, à hauteur du viaduc de Custinne dans la province de Namur. Mais quand il s'agit de baisser le rythme pour respecter les limitations de vitesse dans cette zone de travaux, elle fait régulièrement face à pas mal d'agressivité. "Tous les jours j'ai l'impression de risquer ma vie quand je respecte les limitations. D'abord la zone 90, ensuite 70, mais quand je passe à 50 j'ai réellement la peur au ventre ! Je sais que 50 km/h sur autoroute c'est très peu, mais c'est une question de sécurité pour nous, et aussi pour les ouvriers qui travaillent", dénonce-t-elle via notre bouton orange alertez-nous.
Pas surpris par un tel témoignage, Benoît Godart, porte-parole de l'Institut Belge pour la Sécurité Routière (IBSR), précise d'emblée "qu'il n'est pas normal que les conducteurs ne respectent pas la vitesse sur les chantiers. La Belgique est d'ailleurs particulièrement à la traîne par rapport à d'autre pays européens dans ce secteur".
"Plusieurs études démontrent que ces zones sont accidentogènes"
Mais il y a pire pour Nadège et tous les autres automobilistes soucieux du respect des règles.
Dans la pratique, les intimidations sont diverses, mais pas rares. "Les voitures me font des queues de poisson, les camions des appels de phares. Parfois, ils me collent tellement que je ne sais même plus distinguer leur plaque d'immatriculation", regrette Nadège.
"Déjà, plusieurs études démontrent que ces zones sont des zones accidentogènes. Mais en plus, il n'est vraiment pas normal que les gens qui veulent rouler plus vite mettent la pression sur ceux qui respectent les limitations. Cela peut les déconcentrer ou générer des tensions potentiellement dangereuses", ajoute encore Benoît Godart.
Des règles "fixes"
Obstacles, dangers, intimidations. Le constat est posé. Les zones de chantier en Belgique sont sources de nombreux accidents. Et dès le moment où les conducteurs y adoptent des comportements très hétérogènes, les accrochages, aux conséquences parfois dramatiques, sont inévitables. Mais alors, qui décide de la stratégie de sécurité appliquée sur un chantier ? Et surtout, qui veille à ce que les automobilistes la respectent ?
"La signalisation et les limitations de vitesse imposées ne tiennent pas du tout du hasard ou de l'aléatoire. Il y a une base légale, et plus précisément des arrêtés ministériels qui prévoient tout cela, de même que la signalisation à mettre", nous a confié le commissaire Jean-Michel Tubetti, chef de service de la police de la route.
Autrement dit: limitation de vitesse, signalisation, passage à deux bandes ou à une bande, tout est inscrit dans les textes de loi, ce qui ne laisse aucune liberté aux gestionnaires lors de la mise en place d'un chantier.
Une stratégie "évaluée au cas par cas"
Par contre, en ce qui concerne la stratégie à appliquer pour que ces règles soient respectées par un maximum d'automobilistes, il existe quelques leviers qui permettront aux services publics d'accroître la sécurité dans ces zones. "Il y a une coopération entre le Service Public Wallonie (SPW) et la police de la route. On analyse au cas par cas en fonction de divers éléments, comme la densité de circulation, les lieux, les observations du comportement des automobilistes", a déclaré Laurence Zanchetta, porte-parole du SPW Mobilité.
Et cette dernière affirme que la tâche est particulièrement délicate, car comme l'a également regretté Benoît Godart, dans les travaux, l'automobiliste belge est vraiment un "mauvais élève". "C'est vraiment un problème car sur les chantiers, beaucoup de gens ont des comportements inadaptés. C'est très dérangeant pour ceux qui respectent les limitations de vitesse, mais c'est aussi un manque de respect total pour les personnes qui travaillent sur le chantier et qui risquent leur vie tous les jours".
Comment réduire la vitesse des automobilistes ?
La question est simple, et la réponse semble l'être tout autant: placer un radar au début du chantier, d'autant qu'en fin de chantier, l'intérêt de faire ralentir les gens est limité vu que l'objectif est de protéger les travailleurs et les automobilistes dans cette zone déterminée. Mais justement, si tout était si facile, il n'y aurait pas de problème et tout le monde passerait aux alentours des 50 km/h. Or, ce n'est pas le cas...
"Bien sûr que, en cas de souci, on peut mettre plus de radars. Mais un radar, c'est uniquement de la répression. Or, ce qui nous intéresse, c'est d'augmenter la sécurité, ce qui n'est pas toujours le cas quand on laisse un radar durant une longue période car les gens savent où il est et pilent juste sur les freins à cet endroit", explique le commissaire Jean-Michel Tubetti.
La principale difficulté réside dans le fait que l'automobiliste observe... et adapte son comportement. S'il passe régulièrement à un endroit où se trouve un radar, il freinera à l'endroit du contrôle, avant de remettre les gaz.
Autre problème: le coût. "Les lidars, on les loue et on les met sur des chantiers en fonction des disponibilités", confie Laurence Zanchetta. "Le coût d'un lidar est de 5.000 à 6.000 euros par semaine", précise Dominique Corbaye, directeur au service de la direction des équipements routiers.
Un tel coût se justifie par plusieurs éléments: un lidar doit être homologué et nécessite beaucoup d'entretien, notamment au niveau de la mise à jour des logiciels. En plus, un lidar est lourd, très lourd. Entre 2 et 2,5 tonnes, ce qui explique que ce type d'appareil blindé ne se déplace pas si facilement... et surtout pas assez vite que pour surprendre les conducteurs trop pressés.
Pas de solution "miracle"
Si bien que malheureusement pour Nadège et les autorités, il n'existe pas encore de solution "miracle" pour ralentir les automobilistes belges au pied lourd. "De toute façon, pour chaque contrôle, il existe une parade. Un radar fixe, les gens s'y habituent, un radar tronçon et bien on peut décider d'aller faire sa pause ou son achat à la pompe essence pour faire baisser sa moyenne", résume Dominique Corbaye.
La stratégie adoptée est donc de favoriser le placement d'un lidar lorsque les ouvriers sont en train de travailler, "car l'objectif numéro un est la sécurité. La sécurité de tous: les ouvriers et les automobilistes", insiste le commissaire Jean-Michel Tubetti. Ensuite, la priorité est donnée à l'effet de surprise, sans pour autant qu'il y ait répression pour les contrevenants. "Ce qui fonctionne pas mal, c'est de laisser un véhicule de police très apparent, sans radar pour autant, mais à la vue du véhicule les gens ralentissent", ajoute-t-il.
Et enfin, moins contraignant: laisser des panneaux qui annoncent un contrôle de vitesse sur le chantier, même s'il n'y en a pas. "C'est permis comme solution. Mais encore une fois, ça ne porte pas ses fruits à long terme. Si une personne passe là tous les jours et ne voit jamais de radar, ce n'est pas les panneaux qui vont la faire ralentir", a pu constater Benoît Godart.
N'accélérez pas pour les autres...
On s'en rend compte au travers des multiples témoignages qui nous ont été accordés dans le cadre de ce sujet: lutter contre des vitesses excessives et des comportements inadaptés n'est pas évident. Cela nécessite des changements permanents. Des changements de moyens, mais aussi des changements de lieux où s'effectuent les contrôles. S'il est possible de limiter ces entraves au code de la route, les automobilistes qui ont raisonnablement et intelligemment décidé de respecter les règles doivent donc malgré tout parfois supporter l'inconscience d'autres usagers de la route. Et s'il vous arrive d'être victime d'intimidations, un conseil: "Essayez de faire
abstraction de ce qui se passe derrière vous si ça vous arrive. Vous n'avez pas à vous laisser déstabiliser, influencer", préconise Benoît Godart.
D'autant que personne n'endossera vos responsabilités en cas d'accident ou de contrôle de vitesse à votre place, même si c'est sous leur influence que vous avez accéléré. CQFD !
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