La filiale belge du constructeur français reconnait problème de surconsommation d'huile, mais ne semble pas très inquiète quant à ses conséquences potentielles. Or, si comme sur la Dacia de notre témoin, aucun voyant lumineux ne s'allume, le moteur finit par rouler sans huile, même si les entretiens sont effectués en temps et en heure. Parler de scandale est pour l'instant un abus de langage, car les témoignages sont limités eu égard au nombre de moteurs en circulation. Mais qui sait ce que l'avenir leur réserve ?
La situation est assez confuse actuellement autour de problèmes affectant certaines voitures équipées d'un moteur développé par l'alliance Renault (qui équipe donc aussi des Nissan, des Dacia et quelques Mercedes).
D'après plusieurs clients qui s'estiment lésés, et ils sont suivis en France par la célèbre association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir, le grand constructeur automobile ne reconnait pas clairement le dysfonctionnement et ne prend pas assez en charge les pannes déclarées. "Nous nous retrouvons avec des moteurs hors service et plus personne ne veut de nos voitures au bout de deux ans", nous a expliqué Olivier après avoir contacté la rédaction de RTL INFO via le bouton orange Alertez-nous.
Le problème constaté: dans certaines conditions (dépendant visiblement du type de conduite), le moteur essence incriminé manque d'étanchéité par endroits, et de l'huile se disperse. A la clé: perte et donc surconsommation d'huile, mais également dégâts provoqués par cette huile répandue dans certains parties du moteur...
On a enquêté pour mieux cerner le problème, que Renault reconnait d'ailleurs timidement en Belgique.
Une Dacia Lodgy "sans huile"
Olivier a acheté sa "Dacia Lodgy 1.2 TCE 115 chevaux en 2016". Une voiture dont cet habitant de la région de Vilvorde est "très content" à tous les niveaux. Il y a quelques semaines, il a remarqué quelque chose d'anormal. "Le moteur tournait, mais je ressentais des à-coups. Et surtout, il y avait un bruit moteur qui était plus important que d'habitude. On entendait bien toute la mécanique qui tournait, si j'ose dire. J'ai alors voulu contrôler mon huile".
Olivier n'est pas mécanicien mais comme tout le monde, il a une petite idée de la manière de vérifier un niveau dans le moteur. "J'ai ouvert le capot et le bouchon d'huile, ça puait l'essence. La jauge était brûlée comme si j'avais fait cuire des brochettes sur le barbecue. Mais après plusieurs essais, je ne voyais rien. Comme je ne trouvais aucune trace d'huile sur la jauge, je me suis dit que je m'y prenais mal".
Notre témoin de 36 ans se rend alors dans un garage Renault près de chez lui. Où on lui confirme sa crainte. "On m'a dit que je roulais sans huile ! Le garagiste m'a expliqué toute la problématique sur ce moteur-là (celle qu'on a expliqué plus haut, NDLR). Puis il m'a mis un peu d'huile pour que je puisse rouler, et il m'a dit d'aller dans mon garage habituel, là où j'ai acheté la voiture".
Le moteur de la Dacia d'Olivier (D.R.)
"Silence radio", mais on remplace le moteur !
Olivier se rend dans une concession appartenant à un grand groupe. "Et là, c'est silence radio par rapport au problème bien connu que le garagiste m'a expliqué. Comme ma voiture est toujours sous garantie – j'avais pris une extension, heureusement, ils ont déposé le moteur pour l'inspecter. Et le soir même, ils me téléphonaient pour me prévenir qu'ils allaient le remplacer".
Aucune information, cependant, par rapport à des modifications pour limiter les futures pertes d'huile.
Quelques semaines plus tard, notre témoin a récupéré sa voiture. "Avec un nouveau moteur. Au moment d'aller la chercher, ils m'ont montré les trois pages reprenant les modifications effectuées, mais je n'ai pas pu garder ce document. Je n'ai donc pas le détail: ont-ils remplacé le turbo et le catalyseur qui ont forcément souffert à cause de l'huile ?"
La facture est salée: "Environ 7.000 euros, mais je n'ai rien du payer car je suis sous garantie. Et en plus, là où j'ai de la chance aussi, c'est que je fais toujours mes entretiens en temps et en heure".
Les craintes d'Olivier sont toujours là, cependant. "Ils disent que c'est un nouveau moteur, mais on sait qu'ils ne les produisent plus, qu'ils ont été remplacés. Donc j'imagine que c'est un moteur reconditionné, sur lequel je n'aurai pas de garantie".
Un groupe Facebook belge à côté du français
Aujourd'hui, Olivier se mobilise, et estime que malgré la présence d'un nouveau moteur qui a sans doute été reprogrammé (voir plus bas), sa voiture "ne vaut plus rien alors qu'elle n'a que trois ans". "Même si elle est réparée, personne ne voudra me la racheter car elle consomme beaucoup trop d'huile", affirme notre témoin. "Ce que j'aimerais, c'est qu'on annule la vente, ou qu'on me fasse une très bonne offre pour un nouveau modèle".
Mais il pense aussi aux autres. "Je sais qu'il y a beaucoup de personnes qui ne sont plus sous garantie, car les voitures ont quelques années. Or, les gens qui achètent une Dacia, ce n'est pas parce qu'ils la trouvent belle, mais parce qu'elle ne coûte pas cher. Donc sortir des milliers d'euros, c'est compliqué".
En effectuant des recherches sur internet, notre témoin de la région bruxelloise est tombé sur un groupe Facebook français lancé par une victime qui rassemble les témoignages, notamment via un site web. Sur le réseau social, ils étaient 300 à la mi-mai à s'être abonné au groupe, tandis que 120 cas ont été recensés via le site web.
Olivier a lancé une version belge pour rassembler des victimes.
Une mise en demeure de l'UFC-Que choisir, d'autres acteurs s'impliquent: tous les détails du problème
Si en Belgique, on parle très peu de ce problème, ce n'est plus le cas en France. Fin mai, l'UFC-Que choisir, célèbre association de défense des consommateurs, a été jusqu'à mettre en demeure les constructeurs concernés par ce problème, à savoir Renault, Dacia, et dans une moindre mesure Nissan et Mercedes.
L'Argus, groupe français spécialisé dans l'information et les services liés au monde automobile, évoque quelques chiffres liés au marché français dans cet article. 400.000 voitures (toutes marques confondues) en circulation sont équipées de ce moteur. Mais "seulement" 107.000 seraient réellement concernées (du moins chez Renault) par ce problème de surconsommation d'huile.
Quant au défaut, il est décortiqué par plusieurs experts. Les moteurs 1.2 essence (baptisé TCe chez Renault et DIG-T chez Nissan) construits entre 2012 et 2016 ont un problème de conception: c'est très technique, mais il s'agit d'une trop faible pression dans le collecteur d'admission qui, liée à une dépression dans le cylindre, provoque un manque d'étanchéité au niveau du 2e segment des pistons. Ce segment n'est pas suffisamment plaqué contre la paroi du cylindre, l'huile est alors aspirée dans le cylindre et brûlée lors de la combustion. En manque d'huile, et surtout si le voyant ne s'allume pas comme le prétend Olivier, les dégâts sur le moteur sont graves, à plusieurs niveaux.
Si l'UFC-Que choisir s'en prend à Renault, c'est parce qu'elle dénonce le manque de reconnaissance officielle du problème. Dès 2015, d'après une note interne qu'a pu observer l'association, le constructeur s'est rendu compte du problème. Et pour y remédier, il est indiqué que les voitures doivent subir une reprogrammation du calculateur moteur pour augmenter la pression. Il y a donc des interventions et des prises en charge dans le réseau officiel, mais tout s'est fait (et se fait encore) à géométrie variable, et uniquement quand le client vient signaler le problème. Aucun rappel n'a été effectué. Et de plus, il faut avoir correctement entretenu sa voiture, de préférence dans le réseau officiel.
Le vrai problème, c'est que certains de ces moteurs essence n'ont pas encore beaucoup de kilomètres, et que le manque d'huile entraînant des casses moteurs pourraient donc potentiellement se déclarer bien au-delà de la couverture de la garantie. Il faudra alors prouver que la panne est effectivement due à une surconsommation d'huile (ce qui entraînerait une prise en charge partielle des frais même en dehors de la couverture de la garantie), et pas à autre chose. Délicat…
Pour changer un moteur, il faut démonter une partie de la voiture... (D.R.)
Et en Belgique ? "Au cas par cas"
Nous avons contacté Renault Belgique – Luxembourg et contrairement à ce que pensait Olivier, le groupe ne fait pas l'autruche.
"Sur certains moteurs 1.2 TCe, il peut y avoir une surconsommation d'huile. C'est un problème qu'on connait et qu'on traite à travers notre réseau, au cas par cas", nous a expliqué Karl Schuybroek, directeur de la communication. Hélas, il n'a pu nous fournir aucun chiffre sur le nombre de moteurs ou de voitures concernées en Belgique, car "le groupe n'a pas communiqué". On ne sait pas non plus le nombre de prises en charge de ce problème par le réseau officiel.
Renault précise en revanche qu'il "ne faut pas croire que chaque moteur de ce type-là est concerné, c'est pour ça qu'il n'y a pas eu de rappel".
Le constructeur reconnait effectivement la possibilité d'un défaut de fabrication et indique que, pour l'éviter, "il faut passer plus vite au garage pour refaire le niveau, voilà".
Et les casses moteurs, alors ? "Si vous ne tenez pas compte de votre niveau d'huile, c'est sûr que le moteur peut casser, mais c'est toujours le cas, pour n'importe quel moteur".
D'après notre interlocuteur, "le client se rend rapidement compte du manque d'huile car il y a des alertes quand le niveau n'est plus bon". Olivier, hélas, nous assure qu'il n'y a pas eu de témoin d'huile. D'autres l'assurent également sur les pages Facebook mentionnées plus haut.
Quant au règlement définitif du problème, Renault Belgique nous apprend que "dans 9 cas sur 10, la manière de remédier au problème est assez facile: une reprogrammation de la gestion électronique du moteur".
Si des Belges constatent une surconsommation d'huile, ou soupçonnent une anomalie, que doivent-ils faire ? "Le mieux est de contacter le concessionnaire pour une vérification. Il a une note technique avec les choses qu'il convient de faire". Et le client belge ne devra théoriquement pas (tout) payer: "Il y a une intervention commerciale, une intervention de notre part quand le problème est constaté (on n'en connait pas le niveau, le montant, car c'est au cas par cas). Mais il y a une condition, et c'est toujours le cas pour les prises en charge, il faut que le véhicule ait été régulièrement entretenu dans le réseau Renault officiel."
Conclusion
Certains moteurs essence Renault 1.2 TCe (ou 1.2 DIG-T quand il est utilisé par Nissan), construits entre 2012 et 2016, ont des risques accrus de surconsommation d'huile, à cause d'un défaut de conception. Si le propriétaire est prévenu (via un voyant sur son tableau de bord), il peut réagir à temps et limiter les problèmes, et théoriquement son concessionnaire va reprogrammer le moteur.
Mais ce n'est pas toujours le cas, notre témoin Olivier n'ayant pris connaissance du problème sur sa Dacia Lodgy qu'après avoir entendu un drôle de bruit dans le moteur (pas de témoin lumineux), qui était déjà très endommagé par le manque d'huile. Encore sous garantie, elle va être équipée d'un nouveau moteur.
S'il se bat aujourd'hui, c'est parce qu'il y a des milliers de cas potentiels qui peuvent se déclarer dans les jours ou années à venir. Des voitures sans garantie, et que les concessions pourront réparer mais seulement avec une "intervention commerciale" partielle de Renault Belgique.
La filiale belge du constructeur, que nous avons contacté, reconnait le problème mais – et c'est le cas dans toute l'Europe – aucun rappel n'est effectué. Effectivement, seul un certain pourcentage des voitures équipées de ce moteur est concerné par cette surconsommation d'huile. Renault privilégie dès lors le cas par cas, rappelant au passage que le manque d'huile peut être dû à plusieurs facteurs…
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