Dans quelques mois, Virginie (prénom d'emprunt) prendra peut-être sa retraite, au bout de 40 ans de travail en Belgique, principalement en tant qu'indépendante. Et elle sait déjà qu’elle recevra moins de 1.000 euros par mois. Son amie Caroline devrait, elle, avoir 1134 euros par mois, alors qu’elle a chômé durant une grande partie de sa vie.
C’est avec un grand sentiment de frustration que Virginie (prénom d'emprunt) a décidé de cliquer sur le bouton orange Alertez-nous. A bientôt 62 ans, elle a demandé une simulation pour connaitre le montant de sa future pension et elle a été très étonnée par le résultat obtenu: "Après une carrière de 38 ans en Belgique et de deux ans en France, ma pension sera de 920 euros par mois". Sa déception est d’autant plus grande que son amie qui a seulement cumulé 6 ans de travail et plus de 30 ans de chômage va toucher 1134 euros de retraite.
"En Belgique, sans travailler, on perçoit plus qu'un travailleur... Est-ce normal?", s’interroge l’habitante d’Aiseau-Presles en province de Hainaut.
Nous allons tenter de comprendre ce qui justifie cette écart de traitement entre Virginie et Caroline (bientôt 60 ans), deux amies aux trajectoires professionnelles différentes.
La carrière de Virginie en Belgique: 13 ans comme salariée, 29 comme indépendante
Après avoir travaillé en France deux ans, Virginie a rejoint son mari en Belgique en 1979. Durant sa longue carrière, elle a travaillé 13 ans comme salariée en tant qu’employée dans un magasin. Elle a ensuite travaillé 29 ans comme indépendante d’abord en tant que responsable d’une agence bancaire puis comme gérante d’un magasin de chocolats à Châtelet.
Mariée, Virginie a un fils de 33 ans qui devrait reprendre son commerce, peut-être plus tôt que prévu car elle ne voit plus l’intérêt de continuer. "Je suis un peu démobilisée, je me dis que je n’ai pas profité, j’ai toujours travaillé et j’ai moins. Ne pas prendre ma pension à 62 ans? Pourquoi? En tant qu’indépendant, ce n’est pas facile tous les jours, c’est un combat. Les petites boutiques, malheureusement, on est un petit peu oublié parce que partout c’est les grandes chaînes, les grands centres. Moi, je suis un petit artisan. Alors, je me dis, autant arrêter", avoue la sexagénaire.
La carrière de Caroline: 6 ans de travail, 33 ans de chômage
La situation de son amie Caroline est tout à fait différente. Bientôt âgée de 60 ans, elle a travaillé seulement six ans. D’abord deux ans comme éducatrice salariée puis quatre ans en tant qu’indépendante. Elle possédait un commerce de quincaillerie et d’articles cadeaux. En 2018, lorsqu’elle pourra prendre sa pension, elle aura atteint 33 ans de chômage.
D’après les documents transmis par les services des pensions, Virginie devrait recevoir 915 euros par mois (en cumulant sa pension de salariée et d’indépendante) si elle arrête de travailler à 62 ans, c’est-à-dire cette année. Si elle poursuit jusqu’à ses 65 ans, elle devrait toucher environ 990 euros par mois. "J'ai quand même travaillé. Tous les matins c’est difficile, et je me dis que j’arrive à 62 ans et que je n’ai rien", déplore Virginie. Caroline, elle, devrait avoir 1134 euros par mois, à 61 ans en 2018. Si cette dernière prend sa pension en 2022, elle devrait recevoir environ 100 euros de plus.
Virginie recevra 219 euros de moins que son amie Caroline alors qu'elle a travaillé 38 ans de plus
En résumé, si les deux femmes prennent leur retraite le plus tôt possible, c’est-à-dire en 2017 et 2018, elles devraient toucher respectivement 915 et 1134 euros, la différence est donc de 219 euros.
"Ce n’est pas logique", pense Virginie qui assure cependant ne pas en vouloir personnellement à son amie. D’autant plus que cette situation, Caroline ne l’a pas choisie: "J’ai dû arrêter de travailler pour avoir la garde de mes filles", nous raconte-t-elle. Son avocat lui aurait conseillé de remettre son magasin. "Il y a plus de 30 ans, on m’a dit que je n’avais pas le choix. Si j’avais pu faire autrement, je l’aurais fait. Ça me fait mal parce que je ne suis pas paresseuse. Ma situation ne me plaît pas du tout. J’ai une étiquette dans le dos de chômeuse. Ce n’est pas facile. Mais ça m’a permis d’élever mes deux filles et les enfants de ma sœur qui travaillait et était seule. C’est presque un travail mais non rémunéré", confie Caroline.
A sa pension, celle-ci touchera donc plus que son amie et même elle ne trouve pas ça normal: "Ce n’est pas logique même si c’est le système qui veut ça. Moi, je n’ai rien demandé mais je ne vais pas refuser. Et je ne suis pas la seule. Ça me choque, car ma copine a travaillé quarante ans. On ne valorise pas assez le travail. Les jeunes vont se dire pourquoi travailler?"
Les périodes de chômage sont prises en compte pour le calcul de la pension
Premier constat: il est souvent difficile de comparer les situations de deux travailleurs car elles sont généralement différentes. Dans le cas qui nous préoccupe, l’exercice est encore plus ardu car nos deux témoins cumulent chacun des carrières mixtes de salarié et d’indépendant. Ces deux régimes de travail ont leur propre système de pension avec des méthodes particulières de calcul.
Pour y voir clair, le site mypension.be concentre toutes les informations à ce sujet. Il permet de réaliser une estimation de la date de prise de cours de votre pension dans les trois régimes (salarié, fonctionnaire et indépendant). Fin 2017, le même site fournira également une estimation du montant de la pension. Et fin 2018, début 2019, un outil de simulation permettra de comprendre l’impact de certains choix de carrière sur la pension.
En attendant, pour obtenir une simulation du montant de la pension, il faut s’adresser aux institutions compétentes: le Service Pension pour les salariés et les fonctionnaires et l’INASTI, l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants, en ce qui concerne ces derniers.
Deuxième constat: le montant de la pension dépend de beaucoup d’autres facteurs, comme le montant des rémunérations, l’intensité du travail ou encore l’éventuelle demande de dispense de cotisations en tant qu’indépendant.
Troisième constat: Pour les travailleurs salariés, certaines périodes non prestées comme le chômage sont prises en considération pour le calcul de la pension. Il s’agit avant tout de ne pas désavantager au moment de la retraite les personnes qui la plupart du temps n’ont pas choisi de se retrouver sans emploi. Une précision qui a toute son importance, car c’est ce qui justifie concrètement l’écart entre les pensions de nos deux témoins. La première, Virginie, ayant une carrière d’indépendante en majorité et la seconde, une carrière de salariée en majorité.
A côté des règles édictées pour assurer la sécurité de vie au plus grand nombre, il y aussi les histoires personnelles de chacun. Et pour Virginie, la pilule est amère: "Je pensais au moins dépasser les 1.000 euros. Une pension, c’est déjà difficile parce que vous vous dites je suis hors-circuit, vous êtes plus dans le travail. C’est le fait d’arriver en fin de carrière et de se dire en fin de compte on a travaillé, on a payé ses taxes, on a tout payé et puis on n’a que ça".
Comment se calcule la pension des indépendants?
Pour Thierry Evens, le porte-parole de l’UCM (l’Union des classes moyennes qui représente de nombreux indépendants), cette différence du montant des pensions entre indépendant et salarié "n’est pas normale mais c’est la triste réalité". "C’est profondément injuste, même s’il y a eu une amélioration en 2003, avec les montants qui ont quasiment doublé. La pension des indépendants est pratiquement forfaitaire et tourne autour des 1200 euros par mois maximum", précise encore Thierry Evens.
Pour calculer le montant exact, on regarde à l’âge de 65 ans le nombre d’années où les personnes ont cotisé comme indépendant. La carrière complète est de 45 ans. Et donc si une personne a travaillé 45 ans, elle aura le maximum. Si par exemple, elle a travaillé 40 ans, elle aura 40/45ème du montant maximum. Le calcul est souvent plus compliqué car il y a beaucoup de carrières mixtes (comme pour nos deux témoins). A noter que les indépendants peuvent désormais continuer à travailler, passé 65 ans, tout en touchant leur pension.
Solution préconisée: une pension à points, la même pour tous, qu'on soit salarié, indépendant ou fonctionnaire
Toujours d’après l’UCM, ce système est appelé à changer, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Une réflexion est en cours et elle pourrait aboutir dans les 20 ou 30 ans. La solution préconisée: la pension à points (comme au Danemark et en Suède), c'est-à-dire le même système pour tout le monde, indépendants, salariés et fonctionnaires. Une pension qui est proportionnelle au travail effectué et effectivement presté.
Virginie se ménagera une retraite plus confortable grâce à ses assurances
Malgré la revalorisation de la pension des indépendants opérée il y a quelques années, "celle-ci n’est pas suffisante pour vivre", estime Thierry Evens. L’UCM conseille ainsi aux indépendants de se garantir des suppléments. La première chose à faire selon elle: cotiser pour une pension libre complémentaire auprès d’une caisse d’assurances sociales. C’est indispensable, d’après l’UCM, et très intéressant financièrement car fiscalement déductible: 60 à 80 % des 230.000 indépendants à titre principal à Bruxelles et en Wallonie ont opté pour cette solution. Pour l’Union des classes moyennes, le turn-over très important chez les indépendants expliquerait pourquoi cette proportion n’est pas plus importante.
Il reste encore d’autres possibilités de compléments: l’engagement individuel de pension et les assurances individuelles. Virginie a, par exemple, contracté une assurance-vie et une assurance-pension. "Si je n’avais pas été prévoyante, je serais dans le besoin", conclut d’ailleurs la sexagénaire.
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