A Liège, Philippe et son père (aujourd'hui décédé) ont depuis longtemps acheté quelques maisons, avant de les rénover eux-mêmes et de les louer, les transformant parfois en appartements. Si tout s'est bien passé pendant des dizaines d'années, la situation est devenue "intenable". La goutte d'eau: une locataire qui est parvenue à facturer sa consommation à Philippe, grâce à "un vieux robinet de service dans la cave".
Les relations entre locataires et propriétaires n'ont jamais été évidentes. On entend régulièrement bon nombre de proprios se plaindre de mauvais payeurs, et presqu'autant de locataires râler sur l'état de délabrement du bien qu'ils occupent.
La crise économique actuelle n'arrange pas les choses. Si on devait caricaturer, on dirait que ceux qui ont de l'argent investissent de plus en plus dans des immeubles de rapport (maison ou appartement), car les comptes épargne ne rapportent plus rien. Ces nouveaux propriétaires doivent souvent cumuler la gestion de leurs biens immobiliers avec un emploi à temps plein. Souvent, ils se sont endettés pour acheter ce bien qu'ils comptaient louer.
A contrario, ceux qui sont réellement touchés par la crise, ayant perdu leur emploi et peinant à retrouver du travail, n'ont pratiquement plus accès à l'achat d'une maison ou d'un appartement. Ils se retournent automatiquement vers la location, mais malgré tout, ont parfois du mal à joindre les deux bouts, victimes chroniques des fins de mois difficiles.
Cette situation délicate multiplie les relations tendues entre propriétaires et locataires. Philippe fait partie de la première catégorie, et si nous évoquons son cas, c'est parce que sa locataire a trouvé une parade tout à fait "légale" pour… ne pas payer son eau.
"Elle a trouvé la solution pour me faire payer la totalité de toutes ses consommations d'eau (270€), simplement en faisant constater par la compagnie des eaux un robinet oublié", nous a expliqué Philippe, après avoir contacté la rédaction de RTL info via la page Alertez-nous.
Un héritage empoisonné
Philippe, qui travaille dans l'enseignement, est propriétaire de plusieurs immeubles de rapport. Dernièrement, suite au décès de son père avec qui il avait acheté et rénové les maisons (et gérait donc les locations), il a hérité d'une nouvelle maison divisée en appartements.
"C'est une belle et vieille bâtisse, située dans le quartier de la Citadelle de la Liège. Elle est divisée en quatre appartements, ayant chacun leur compteur d'eau".
Mais Philippe a de gros problèmes avec une de ses locataires. "En réalité, elle est arrivée quand mon père était encore en vie, mais il était malade. On a toujours été des gens gentils, et assez confiants envers les locataires. Elle a réussi à avoir les clés avant de signer le bail, en disant qu'elle devait le relire et qu'elle le rendrait plus tard. Cette dame connait très bien la loi, elle a donc emménagé, et a payé son premier mois de loyer. Vu que le bail n'était pas signé, elle bénéficie donc automatiquement du bail verbal, c'est-à-dire un bail de 9 ans".
Depuis lors, c'est un peu la guerre entre Philippe et sa locataire. "J'ai eu plein d'autres ennuis avec", nous explique-t-il, dont "un évier arraché pour simuler des fuites et me faire payer des interventions, d'autres dégâts..."
La situation est devenue encore plus tendue dernièrement, car selon notre propriétaire liégeois, "elle a trouvé le moyen de me faire payer sa consommation d'eau".
Un "robinet de service"
Philippe a tenu à nous contacter pour que tous les propriétaires sachent qu'il existe un "piège" dans le règlement relatif aux relations locataires/propriétaires par rapport à la consommation d'eau.
Il s'en est rendu compte en recevant une facture de la CILE, la Compagnie Intercommunale Liégeoise des Eaux. Il s'agit d'une "rectification" de la "facture de régularisation annuelle", d'un montant de 270€. Le lieu de fourniture de la facture stipule qu'il s'agit d'un "Appartement 1ER (étage) + robinet service".
Le courrier de la CILE reçu par Philippe
Interloqué, Philippe se rend à la CILE pour obtenir des explications. Il comprend rapidement que l'origine de cette rectification est "un robinet à la cave, que personne n'utilise, et qui est relié à la ligne du compteur" de la locataire en question. "Suite à notre entretien téléphonique du 25/°7°2016 avec votre locataire, Madame A. R., nous avons délégué un agent le 26/07/2016 (...) afin de contrôler l'attribution du compteur n°133XXXX", peut-on lire dans un courrier que nous avons pu nous procurer.
Pourtant, la maison a été divisée correctement en appartements il y a quelques années. "Il y a quatre appartements et quatre compteurs d'eau", mais à l'époque, le père de Philippe n'avait pas pensé à ce "vieux robinet perdu dans une cave… c'est une maison de 1900".
Quel est ce point du règlement qui a joué un mauvais tour à Philippe ?
Personne n'imaginait qu'un jour, un locataire allait se servir de cet argument pour faire changer la facturation du compteur d'eau. "Elle a utilisé un point du règlement, l'article 44".
A la CILE, Philippe a reçu une petite brochure avec un condensé du code wallon de l'eau interprété par la compagnie des eaux liégeoise. On y trouve en effet un article 44 évoquant la "solidarité locataire (usager) – propriétaire (abonné)".
Les paragraphes entourés par la CILE à l'attention de Philippe ne sont pas très explicites. "Lorsque l'usager (le locataire) n'est pas titulaire d'un droit réel sur l'immeuble raccordé, l'abonné (le propriétaire) ne peut être solidairement et indivisiblement tenu envers le débiteur de paiement de toutes sommes impayées par l'usager". Ce qui signifie que Philippe n'est pas responsable des factures d'eau adressées à ses locataires. Logique.
Philippe a reçu des explications dans une brochure
Cette règle est assortie de plusieurs conditions, cependant, dont celle, logique, de faire placer "un compteur d'eau individuel par logement".
Mais il existe un autre point dans le règlement, logique lui aussi, qui concerne directement le cas de Philippe et sa locataire. "En cas d'immeuble à appartements multiples ou d'ensemble d'immeubles desservis par un compteur collectif, l'abonné a la qualité d'usager et est tenu vis-à-vis du distributeur de toutes les charges relatives à la distribution d'eau".
Vu que le robinet de service de la cave est présent sur la ligne du compteur d'eau de la locataire, celle-ci peut jouer sur les mots et considérer que son compteur est "collectif", vu qu'il englobe un robinet qui n'est pas dans son appartement.
"C'est le règlement, vous devez le connaître", lui a rétorqué la CILE. "Le locataire (qui s'est plaint et a fait constater l'anomalie par la compagnie des eaux, NDLR) a été plus intelligent que vous".
Nous avons joint la CILE, qui a confirmé le point du règlement sans en dire davantage.
La CILE change la facturation
La CILE a traduit cette réclamation de la locataire par une mesure drastique. "Dans pareil cas, les factures de consommation d'eau sont adressées au propriétaire. En effet, il lui appartient d'en assurer le règlement total et de récupérer auprès de chacun des occupants la quote-part qu'il estime être due", peut-on lire dans un courrier reçu par Philippe.
Le propriétaire n'a même pas essayé de récupérer l'argent auprès de sa locataire. "Elle aurait évoqué une fuite d'eau du robinet de service", et n'aurait pas voulu payer la somme demandée, estime-t-il. "Elle est aidée et conseillée par un avocat, j'en suis sûr". De toute façon, "comment prouver, et chiffrer, la consommation de ma locataire ?"
La CILE s'est empressée de changer la facturation...
Certains propriétaires de vieilles maisons de maître divisées en appartement, qui n'ont pas fait installer de compteur d'eau individuel par logement, demandent généralement des "provisions de charge" mensuelles couvrant eau et électricité, et font le bilan à la fin de l'année, en divisant la facture totale.
Mais ce n'est pas le cas de Philippe, car son père avait fait installer un compteur par appartement. Il n'avait pas prévu qu'une locataire se rendrait compte qu'un vieux robinet dans la cave se trouvait sur sa ligne d'eau, et qu'elle pouvait dès lors faire constater cette anomalie par la CILE afin de changer la facturation.
La seule solution: sceller le robinet
Pour remettre la facturation au nom de sa locataire, Philippe n'avait d'autre choix que de sceller le fameux robinet de service situé à la cave.
Le courrier de la CILE stipulait par ailleurs cette idée. "Si par la suite, vous désirez que les consommations d'eau soient facturées individuellement, une alternative est possible: le bouchonnage des points d'eau existants dans la cave (bouchonnage qui doit être constaté par nos services)".
Chose que Philippe a fait très rapidement. Les choses sont désormais rentrées dans l'ordre, et la prochaine facture d'eau sera adressée à la locataire de Philippe. Mais celui-ci a du s'acquitter des 270€ de consommation d'eau de sa locataire sur l'année écoulée, plus les frais liés au bouchonnage et au passage de la CILE.
La compagnie des eaux nous a confirmé que la situation allait rentrer dans l'ordre.
"La goutte d'eau"
Sans mauvais jeu de mots, ce petit incident est "la goutte d'eau" pour Philippe, qui estime que "la société a changé: un robinet dans une cave, et je me ramasse 300€… je n'en peux plus".
Sur les 12 logements qu'il loue, Philippe a en effet des problèmes avec "un quart des locataires". Cela se termine parfois devant la justice. "On me donne toujours raison, mais les gens sont insolvables".
La plupart du temps, il reçoit en effet "de fausse fiches de paie: beaucoup de locataires mentent et n'ont pas de travail". Avec à la clé, des problèmes pour boucler les fins de mois et payer son loyer.
Et quand ces problèmes se résolvent, "il faut gérer tous les soucis techniques, remplacer des chaudières qui tombent souvent en panne, etc". Financièrement, Philippe ne s'y retrouve donc qu'à moitié: "quand j'ai tout payé, il me reste de quoi rembourser ma maison actuelle".
Pour lui, "ce n'est plus vivable d'être propriétaire" et de gérer les locations. Philippe, qui est enseignant, passe sa vie à courir. "Je suis séparé, je vois à peine mes enfants. Ma santé y passe".
Tout vendre ? "Oui, j'y pense de plus en plus. Hélas, ce n'est pas trop le moment de vendre au niveau du marché immobilier".
Quant à sa locataire, elle a envoyé son avocat pour signaler qu'elle voulait quitter les lieux.
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