Frédéric, un habitant de la région montoise, se rend dans les cours d'eau pour ramasser les nombreux détritus qui s'y trouvent. Lassé d'en trouver toujours plus, il a appuyé sur notre bouton orange Alertez-nous pour dénoncer la situation: "Tous les déchets se dégradent jusqu’à la mer, polluant tout ce qui accompagne la biodiversité. Cela fait des années que j’interpelle les gestionnaires des cours d’eau non navigables: communes, provinces et Région wallonne. Je vous contacte dans l'espoir que les choses soient prises au sérieux".
Nous avons pris le message de Frédéric très au sérieux et nous sommes partis à sa rencontre.
En arrivant sur le lieu de rendez-vous près de Mons, nous remarquons au bord de la route un tas de détritus érigé contre un poteau d'éclairage. Un petit panneau explique de quoi il s'agit: "Repêchage dans la rivière".
Bottes en caoutchouc aux pieds, nous retrouvons Frédéric. Son équipement est bien plus impressionnant que le nôtre: combinaison de pêcheur étanche, épuisette, brouette, sacs en plastique. Avec ce matériel qu'il a acheté lui-même, notre témoin est prêt à partir en guerre contre les déchets.
Nous suivons Frédéric à travers un petit chemin de campagne, le long d'un champ. 200 mètres plus loin, nous arrivons à notre destination. "On est au bord du cours d'eau Le By à Hyon. Il prend sa source à 15 km d'ici, à Aulnoy", nous explique notre témoin. Depuis la berge, nous remarquons l'un ou l'autre déchet, mais rien de très inquiétant. Frédéric a-t-il exagéré? Avons-nous fait le déplacement pour rien?
La nature cache un immonde spectacle
Habitué des lieux, Frédéric se fraie un passage pour descendre dans le cours d'eau, situé deux bons mètres en contrebas de la berge. Nous le suivons. Frédéric se met alors à l'œuvre et plonge la main dans l'eau froide. Il en sort une impressionnante poignée de serviettes hygiéniques. Le bénévole s'affaire et récolte les détritus: des pneus cachés sous l'eau, un cône de signalisation, des canettes... Il y en a pour tous les goûts. En à peine vingt minutes, il a largement de quoi remplir sa brouette. Nous ne sommes pas venus pour rien.
"Quand on passe au bord du cours d'eau, on se dit que ce n'est pas grave… Mais quand on s'y intéresse de plus près, on se rend compte que la situation est assez catastrophique. Et ça fait des années qu'on laisse pourrir la situation", commente Frédéric.
Il y a huit millions de tonnes de plastiques qui sont rejetés chaque année dans les océans
"Je tenais à vous montrer ce qu'on peut retrouver aujourd'hui dans un petit cours d'eau. Sur quelques mètres, il est jonché de détritus en tous genres: beaucoup de produits de consommation, beaucoup de plastique, de serviettes hygiéniques, des pneus, des cônes de signalisation, de la frigolite, des matériaux de construction, des gouttières, etc.", explique Frédéric. "Tout ça a un impact dégradant sur la qualité de l'eau, mais aussi de la biodiversité jusqu'à la mer. Il faut savoir qu'il y a huit millions de tonnes de plastiques qui sont rejetés chaque année dans les océans à travers le monde", ajoute-t-il. Ce chiffre, nous avons pu le vérifier par la suite.
Un mégot de cigarette peut polluer jusqu'à 500 litres d'eau
"Je pense qu'il est grand temps de balayer devant sa porte", nous confie Frédéric. Il pointe du doigt les politiques et réclame "des directives fortes". Il pointe également les citoyens, qui "doivent prendre conscience que tout ce qu'ils rejettent, aussi bien dans la rue que dans la nature, finit tôt ou tard par drainage dans les cours d'eau". Frédéric nous lance un autre chiffre consternant, que nous avons aussi vérifié: "Un mégot de cigarette peut polluer jusqu'à 500 litres d'eau".
Je lance un appel à tous les citoyens
Frédéric agrippe alors sa brouette. Nous le suivons sur le chemin du retour. Arrivé au bord de la route, il rajoute son triste trésor de guerre au tas d'ordures que nous avions vu en arrivant. Il nous rappelle la problématique de l'eau et l'impact que peut avoir la pollution sur les nappes phréatiques, et donc sur l'eau que nous buvons.
"Je lance un appel à tous les citoyens. Avec une bonne paire de gants, des bottes… Vous pouvez aider. Il suffit de s'inscrire sur BeWaPP. Vous recevrez des sacs et le coordinateur local sera prévenu qu'un dépôt près de la route devra être enlevé", nous explique-t-il. Car non, l'amas de détritus érigé par Frédéric ne restera évidemment pas là.
Les cours d'eau: une histoire de catégories
Retour dans l'atmosphère moins humide de la rédaction. Le téléphone commence à chauffer. Au fil de nos recherches, nous dressons un plan de la situation. Les cours d'eau wallons sont divisés en deux grandes catégories.
Il y a d'un côté les voies navigables. On y retrouve par exemple la Meuse, l'Escaut, la Sambre, l'Ourthe, la Semois, les canaux, etc. Le gestionnaire est le SPW (Service Public Wallon) Mobilité et Infrastructures. D'un autre côté, il y a les cours d'eau non navigables. Ceux-ci sont divisés en quatre catégories selon leur débit évacué et leur morphologie (notamment la hauteur et la profondeur).
An 2000: "La Région wallonne accuse un retard important"
Au cours de nos recherches, nous tombons sur un document intéressant. Il date de 2000 et émane de la Région wallonne. Il s'intitule "Etat de l'environnement en Wallonie" et le bilan qu'il dresse ne semble pas radieux. Il sera d'ailleurs confirmé par la suite par l'une de nos interlocutrices: "On part de très loin", nous confiera-t-elle. Mais voici ce qui était dit en 2000.
"Les rivières de bonne qualité sont les rivières du sud du Sillon Sambre-et-Meuse dont le bassin versant est majoritairement boisé. Plus on va vers l’aval, plus les cours d’eau traversent des contrées habitées, industrialisées et d’agriculture intensive, plus la qualité se dégrade. Les cours d’eau les plus dégradés sont situés au nord du Sillon Sambre-et-Meuse (la Senne, la Sambre, la Haine, l’Espierre et l’Escaut)", écrit la rédactrice Catherine Hallet.
Dans son rapport, celle qui était alors à la direction de la coordination de l'environnement précise que "la Région wallonne accuse un retard important dans l’épuration des rejets domestiques". Il est ensuite indiqué que depuis environ 1990, une politique plus rigoureuse a été mise en place:
- Instauration d’une taxe sur les eaux usées pour augmenter le financement de l’épuration (1990).
- Etablissement des plans communaux généraux d’égouttage (1992-2000).
- Programme pluriannuel de réduction de la pollution des eaux de surface (1994).
- Augmentation du financement et accélération des programmes de construction des stations d’épuration.
C'est difficile à imaginer, mais il a fallu de longues années pour réduire la quantité de rejets domestiques et industriels dans les cours d'eau. Le By, la rivière dans laquelle nous avons pataugé, en a elle-même fait les frais.
Toujours au chapitre "archives", nous avons déniché une page sur le site de Quévy, une commune proche de Mons. Elle date du 9 juillet 2011 et voici ce qu'elle explique sur Le By: "Son eau est qualifiée de médiocre vu qu’il récolte, comme beaucoup d’autres ruisseaux, tous les égouts des habitations, ainsi que divers affluents aussi fortement pollués. Il aurait besoin d’un assainissement et d’un changement de comportement de la population pour retrouver sa qualité perdue".
Après la lecture de ces archives, tâchons de répondre à la question qui nous démange: où en est la situation actuellement?
Cours d'eau de catégorie 1: 10 millions €/an mais pas d'actions spécifiques pour les déchets
Le By, le cours d'eau que nous a montré Frédéric, est de catégorie 1. C'est donc le SPW qui en a la charge. Nous contactons le porte-parole pour savoir quels sont les moyens et les budgets alloués au nettoyage et la préservation des cours d'eau de première catégorie. "Pour les travaux et études, la Direction dispose d’un budget annuel de l’ordre de 10 millions d'euros, dont quelque 8 millions pour les travaux d'entretien, d'amélioration et de restauration hydromorphologique (ndlr: reliefs provoqués par l'eau)", nous répond Nicolas Yernaux.
Cependant, lorsque nous interrogeons le SPW, nous comprenons qu'il n'y a pas d'actions spécifiques pour les déchets et les dépôts sauvages. "La Direction des Cours d’eau non navigables réalise des travaux d’entretien, d’amélioration et de restauration. Elle ne se focalise pas sur les déchets flottants ou sur les dépôts sauvages. Nous ne disposons donc pas de chiffres sur ces interventions", indique le porte-parole.
Le SPW lui-même établit une distinction entre les interventions pour enlever des obstacles entravant le cours d'eau et les interventions pour des déchets. "L’enlèvement des obstacles s’inscrit plus dans une optique de prévention/de gestion des risques d’inondation que de gestion des déchets", explique Nicolas Yernaux.
L'administration wallonne ne dispose pas d'équipes dédiées aux interventions sur les cours d'eau non navigables. "Nous avons recours à des marchés publics (gestion par secteur ou bassins) gérés conformément aux règles en matière de marchés publics", précise le porte-parole. "Pour les autres cours d’eau dont nous n’avons pas la gestion, les Provinces et les Communes peuvent faire certains entretiens avec leur propre personnel et matériel, mais elles peuvent également sous-traiter".
Si le SPW ne mène pas d'actions focalisées sur la récolte de déchets, des associations réparties sur le territoire s'occupent de cet aspect. Ce notamment le cas des Contrats de rivière. "Ils organisent des opérations de récolte des OFNI, des objets flottants non identifiés", indique Nicolas Yernaux.
Leur mission va cependant bien plus loin. Nous avons contacté les responsables de deux Contrats de rivière actives en province du Hainaut pour comprendre. La situation est-elle grave?
L'une de nos tâches sur le terrain est de parcourir les berges et d'encoder les points noirs
En Wallonie, il y a quatre bassins hydrographiques:
- Le bassin de la Meuse est le plus important: il recouvre 72,6% de la Wallonie (rose sur la carte).
- Le bassin de l’Escaut recouvre 22,35% du territoire (bleu).
- Le bassin du Rhin représente 4,6% de la région (vert, près du Grand-Duché du Luxembourg).
- Le bassin de la Seine recouvre 0,45% de la Wallonie (jaune).
© Carte géographique réalisée par le Laboratoire du département de Géographie de l'Université de Liège (SEGEFA), à la demande du Service général du Pilotage du Système éducatif
Ces bassins sont divisés en quinze sous-bassins. Au total, quatorze Contrats de Rivière (CR) ont été créés pour les couvrir. Un CR est une association dont le but est de protéger, valoriser et restaurer les ressources en eau d'un sous-bassin hydrographique. Le CR sert aussi à faire le lien entre les gestionnaires et les acteurs de l’eau sur son territoire (monde politique, associatif, scientifiques, pêcheurs, agriculteurs, entreprises, etc.).
Tout ça, ce sont les phrases écrites noir sur blanc sur les documents officiels. Mais plus concrètement, que fait un Contrat de Rivière? Nous contactons la coordinatrice du CR de la Haine, le territoire sur lequel se trouve Le By. "L'une de nos tâches sur le terrain est de parcourir les berges et d'encoder dans une application les points noirs observés, ce sont les dégradations, les dépôts, les déchets ou les dangers repérés. En 2017 et 2018, nous avons couvert 554 kilomètres dans notre sous-bassin. En ce qui concerne les cours d’eau de 1ère catégorie, 100% des cours d’eau ont été inventoriés. Une fois les points noirs encodés, le gestionnaire concerné est prévenu et c'est à lui d'agir pour résoudre le problème", explique Elodie Boutique.
Mais qu'est-ce qu'un point noir? Il y en a différents types: déchets, plantes invasives, rejets, zone de biodiversité menacée, patrimoine dégradé (écluses, moulins, etc.), mares, zones inondables, etc.
Ces "points noirs" repérés par l'équipe d'Elodie Boutique servent ensuite à préparer un programme d'actions. "Chaque programme court sur trois ans. Là on termine le plan de 2017 à 2019", précise-t-elle. Parmi les actions prévues dans un programme, il y a d'un côté les actions qui découlent de l'inventaire de terrain, et d'un autre côté celles qui n'en découlent pas et qui étaient déjà prévues par les partenaires. Ces actions peuvent être curatives et apporter une solution à un problème, ou plutôt préventives pour protéger. Une fois que le CR a préparé un programme d'actions, il est discuté avec les gestionnaires et les partenaires. Quand tout le monde est d'accord, chacun signe le plan en guise de preuve de son engagement moral.
2.229 points noirs repérés pour le sous-bassin de la Haine
Sur la période 2017 à 2019, 2.229 points noirs ont été repérés dans le sous-bassin de la Haine, dont 1.506 considérés comme prioritaires. Voici la répartition des problèmes repérés, selon le CR.
Nous demandons à Elodie Boutique quel était le bilan du programme d'actions 2017 à 2019 pour tous ces points noirs. Ont-ils été résolus? "Nous n'avons malheureusement pas encore de conclusions définitives. Je peux cependant vous dire que 173 points noirs (déchets et entraves) ont été résolus par les gestionnaires avant même de lancer les actions. Ensuite, 638 actions avaient été planifiées sur les trois années. Parfois, une action peut résoudre plusieurs points noirs. Mais comme je vous l'ai dit, nous n'avons pas encore le décompte final", nous répond la coordinatrice.
8.703 actions prévues de 2020 à 2022 en Wallonie
De son côté, le SPW n'avait pas non plus de bilan à nous fournir. Nous avons cependant appris que pour toute la Wallonie, 11.800km de cours d'eau ont été inventoriés sur les 26.000. Cela a permis de repérer 32.400 points noirs dont 15.000 prioritaires. Au total, de 2017 à 2019, 845 actions étaient prévues pour des déchets.
Si le précédent plan d'actions est en phase de clôture, le prochain vient d'être préparé. Pour la période 2020 à 2022, le porte-parole du SPW nous a indiqué que 8.703 actions seront menées par des maîtres d'œuvre issus du privé et du public. Parmi elles:
- 811 concernent la problématique des déchets.
- 2.635 sont des interventions "concrètes de terrain" pour des travaux ou des chantiers de gestion.
- 500 sont des actions de contrôle et de répression.
- 2.770 sont des actions de sensibilisation, de formation et d'animation auprès du grand-public.
On part de très loin… mais il faut rester positifs
D'après le SPW, les 14 Contrats de Rivière wallons emploient 56 équivalents temps-plein et représentent un budget global de 3,3 millions d'euros. Sur cette somme, 1,88 million provient de l'administration wallonne.
Mais revenons-en à la situation plus spécifique du CR de la Haine. "Nous avons un budget annuel de 220.000 euros. 70% de cet argent vient de la Région wallonne, le reste provient surtout des communes en fonction de leur population et une petite partie de la province. 90% de notre budget est dépensé pour payer les salaires des quatre temps-plein et du mi-temps employés chez nous", précise Elodie Boutique, la coordinatrice.
Au cours de la conversation, une loi européenne est évoquée. D'autres personnes vont aussi en parler dans notre enquête: c'est la directive-cadre sur l'eau. Elle a été adoptée en octobre 2000 et les CR sont l'un des outils qui permettent à la Wallonie de respecter cette directive. Elle rappelle d'abord que l'eau n'est pas un bien marchand, mais un patrimoine à défendre. La grande avancée de la directive, c'est la gestion et l'organisation de l'eau à l'échelle de bassins hydrographiques. Et pour gérer l'eau, la directive pointe l'importance de mener une politique qui rassemble tous les acteurs de tous les niveaux: local, national, international, industrie, agriculture, citoyens, etc. On est en plein dans le rôle de coordination des CR.
Un peu assommés par les chiffres et les textes législatifs, nous nous recentrons sur notre question de départ: où en est la situation? Quel est le ressenti de la coordinatrice? "Sur le fond, j'ai le même avis que Frédéric, votre témoin. Je le connais. C'est vrai que des déchets, on en retrouve assez bien et de toute sorte. Il faut dire qu'on part de très loin. Avant, les égouts étaient déversés dans les rivières, il n'y avait pas de cadre légal, pas d'assainissement. Mais il faut rester positifs. Je remarque d'ailleurs qu'il y a plus de mobilisation pour les rivières, c'est bien!", nous confie Elodie Boutique.
La coordinatrice n'ayant pas de chiffres précis sur les quantités de déchets récoltés dans les cours d'eau, nous lançons notre hameçon vers un autre CR.
Les déchets verts: un vrai problème
Pour avoir l'avis d'un autre acteur de terrain, nous interrogeons Julie Goffette, la coordinatrice du CR de la Dendre, limitrophe à celui de la Haine. "L'évolution en matière de déchets est malheureusement assez stable. Les gens continuent à déposer les déchets aux mêmes endroits", réagit-elle. "Parmi les acteurs impliqués, j'ai l'impression que tout le monde fait de son mieux, mais ce n'est pas évident. Je pense qu'il faudrait davantage de sensibilisation".
En matière de déchets et dépôts, Julie Goffette n'a pas de chiffres statistiques précises sur les quantités récoltées dans sa zone. Elle pointe cependant un problème dont les citoyens ne semblent pas prendre conscience. "Ce sont les déchets verts et les tas de fumier. Il y en a beaucoup dans les cours d'eau ou sur les rives. Les gens pensent que c'est naturel, mais c'est un vrai problème", explique-t-elle. "Quand ils sont sur la berge, ils étouffent les végétaux, donc le sol s'érode. Quand ils sont dans l'eau, les déchets verts apportent trop de nutriments. Donc les algues se développent, puis elles meurent. Durant la phase de décomposition, les bactéries absorbent beaucoup d'oxygène, donc il en reste moins pour les autres espèces, comme les poissons ou les macroinvertebrés. Cette pollution organique est une réaction en chaîne qui détruit des habitats et menace des espèces", ajoute la coordinatrice.
Elle aussi nous indique que le programme d'actions de son CR pour 2020 à 2022 a été transmis aux différents acteurs et gestionnaires. Parmi eux, il y a les provinces et les communes. Allons donc voir comment elles gèrent la problématique.
Les dépôts sauvages, il y en a partout et tout le temps. On se dit que la Ville ne fait rien, mais ce n'est pas vrai
A Mons, c'est l'échevine Catherine Marneffe qui gère le dossier des cours d'eau. Elle confirme les explications de la coordinatrice du CR de la Haine: "Le CR identifie les points noirs et les actions à mener et un programme triennal est établi. A Mons, l'engagement est pris au conseil communal. La Ville répond aux actions et fait un suivi régulier. Pour le plan en cours, tout n'a pas été réalisé, c'est vrai, mais une grosse partie l'a été. On essaie de remplir notre mission au mieux".
Très concrètement, en tant que gestionnaire des cours d'eau non navigables de catégorie 3, la commune peut intervenir de différentes manières pour traiter les points noirs. "On peut envoyer nos ouvriers communaux si le cours d'eau est accessible. Ou alors le service technique si c'est plus compliqué. Pour les interventions de curage et d'entretien, nous faisons appel à des entreprises via des marchés publics", explique Mme Marneffe. Niveau budget, elle nous précise que 125.000 euros sont prévus au budget 2019 pour l'entretien des cours d'eau.
L'échevine Ecolo cible un problème très difficile à endiguer. "Les dépôts sauvages. Je vais souvent sur le chemin de Maisières et je vois des dépôts tous les trois jours. Pourtant nos services passent chaque semaine. Alors évidemment, si les dépôts se font près des rivières, ça tombe dedans", réagit Catherine Marneffe. "Les dépôts, il y en a partout et tout le temps. On se dit que la Ville ne fait rien, mais ce n'est pas vrai, on intervient très régulièrement. Mais pour que tout soit nickel, il faudrait une équipe incroyable, ce qui n'est pas possible non plus".
Au cours de notre entretien, l'échevine évoque aussi les actions ponctuelles de conscientisation. "Ici en novembre on a fait un week-end de sensibilisation sur les mégots, car ils se retrouvent souvent dans les avaloirs et peuvent donc atteindre les cours d'eau. Des milliers de mégots ont été récoltés et on espère que les citoyens se rappelleront que l'océan, il commence dès l'avaloir", explique Catherine Marneffe. L'échevine nous a également assuré que des investissements avaient été fait en matière de répression.
S'il y a une partie gérée par une commune, on la contacte pour se coordonner
Vu que notre enquête a commencé à Mons, nous contactons la province du Hainaut, responsable des cours d'eau non navigables de catégorie 2. Cette fois, le gestionnaire est en contact avec le CR mais il dispose aussi de ses propres sentinelles. "Pour savoir où intervenir, il y a des responsables de district qui font des contrôles et qui communiquent avec les Contrats de Rivière", précise Fabienne Devilers, députée provinciale.
Une fois les points noirs identifié, la province passe par des marchés publics pour intervenir. "Certains tronçons d'un cours d'eau peuvent être de catégories différentes. Par exemple s'il y a une partie gérée par une commune, on la contacte pour se coordonner et faire un marché public ensemble et on répartit les frais", indique Mme Devilers.
Récapitulons brièvement: nous avons contacté le Service public de Wallonie, la commune et la province. Passons à l'échelon le plus haut: le gouvernement wallon. Justement, ça vient de bouger à ce niveau-là, avec la nouvelle majorité d'Elio Di Rupo. Alors, quelle politique sera menée dans les années à venir?
Les priorités de la nouvelle ministre Ecolo?
L'Ecolo Céline Tellier a été désignée il y a quelques semaines ministre de l'Environnement et de la Nature dans le gouvernement Di Rupo. La nouvelle majorité wallonne allie le Parti socialiste, le Mouvement réformateur et Ecolo.
Nos questions: quels budgets seront alloués à la gestion des cours d'eau non navigables, et comment le cabinet compte lutter plus précisément contre le problème des déchets?
Très gentiment, la porte-parole de la toute nouvelle ministre nous indique (en novembre) qu'il n'est pas encore possible de répondre. "Le gouvernement vient à peine d'être mis en place. Il est trop tôt pour dire précisément quels budgets on va allouer à tel ou tel sujet. On avance sur les dossiers et on ne sait pas tout faire en même temps. Je peux seulement vous dire qu'on est en contact avec tous les acteurs liés à la problématique de l'eau pour récolter les informations nécessaires", confie Nathalie Guilmin, porte-parole de la ministre. "Pour les priorités politiques à venir, il faudra être un peu patient".
Soit, nous serons patient. Mais notre enquête n'est pas encore finie. Quels sont les avis reçus par la ministre de la part des associations environnementales? Et où sont les fameux chiffres que nous cherchons? C'est ce qu'on va voir.
Éradiquer les déchets dans les rivières: agir sur trois plans selon IEW
Pour répondre à nos questions, nous nous sommes tournés vers IEW, Inter-Environnement Wallonie. C'est le représentant wallon des associations de défense de l'environnement (WWF, Greenpeace, etc.). L'organisation propose des actions sur trois aspects. "D'abord les actions en amont pour éviter que les déchets ne finissent dans les cours d'eau. L'Europe a par exemple déjà approuvé la directive pour interdire les plastiques à usage unique (ndlr: cotons-tige, couverts, certains sacs…) d'ici 2021. L'ancien ministre wallon Carlo Di Antonio avait déjà fait passer un arrêté en ce sens", explique Gaëlle Warnant, chargée de mission ressources à IEW.
"Un autre volet, c'est la prévention. Il y a par exemple Be WaPP qui mène des actions de sensibilisation, des campagnes de nettoyage et des actions ponctuelles. C'est utile, mais ça doit être accompagné d'autres mesures", indique Gaëlle Warnant. "Et puis, le troisième aspect, c'est la répression. Nous estimons qu'il faut augmenter les moyens des agents constatateurs, mais les budgets sont limités".
On ne peut pas dire que rien n'est fait, mais les moyens sont limités
La chargée de mission d'IEW nous livre un dernier commentaire: "On ne peut pas dire que rien n'est fait, mais les moyens sont limités… même si ça n'excuse rien. Par exemple pour les petites rivières, il n'y pas vraiment d'action directe. Ce sont souvent les citoyens qui se retroussent les manches".
D'accord... Mais y aurait-il un petit chiffre sur le nombre de déchets trouvés dans les rivières, histoire de savoir plus ou moins où en est la situation? "Désolé mais nous n'en avons pas. Vous pouvez peut-être essayer du côté de Be WaPP", nous répond Mme Warnant. Be WaPP, un drôle de nom. Mais rappelez-vous, Frédéric nous en avait déjà parlé. Nous contactons donc cet autre acteur de notre problématique.
Attention: vous ne pouvez pas récupérer des déchets dans une rivière comme vous voulez
Be WaPP, ça veut dire "Wallonie Plus Propre". C'est une asbl financée par Fost Plus. Fost Plus est elle-même une association financée par les entreprises pour promouvoir, coordonner et payer les collectes et le recyclage de PMC, des cartons et du verre.
La mission de Be WaPP? "Mettre tous les moyens en œuvre pour atteindre une réduction significative des déchets sauvages et dépôts clandestins dans l’espace public", annonce son site internet. Pour cela, l'association suit la feuille de route établie par le Plan wallon déchets-ressources et en assure la coordination et sa mise en œuvre. L'accent est mis sur la sensibilisation, la participation des citoyens, l'amélioration des infrastructures, la gestion de l'espace de vie et la répression.
Mais revenons-en à nos déchets dans les cours d'eau. En 2019, Be WaPP a fait la promotion en Wallonie du River Cleanup organisé au niveau européen. Il s'agissait d'une grande opération de nettoyage des rivières organisée le 21 septembre. "Nous nous sommes associés à cette initiative et nous avons notamment fourni du matériel à nos partenaires et aux participants", nous explique Valérie Cartiaux, porte-parole de Be WaPP.
D'ailleurs, vous pouvez vous-même devenir Ambassadeur de la propreté en vous inscrivant ici. Cependant, Valérie Cartiaux déconseille aux citoyens de se rendre dans les cours d'eau sans aucune préparation. "C'est interdit d'y aller pour ramasser des déchets, car ça peut être dangereux pour la personne, mais ça peut aussi provoquer des dommages à l'environnement, aux berges, etc. Il faut le faire de préférence avec l'autorisation du gestionnaire ou en coordination avec le Contrat de Rivière de la zone par exemple", indique la porte-parole.
Be WaPP sensibilise la population et soutient les citoyens avec des opérations ponctuelles. Très bien. Mais toujours pas de chiffre pour les déchets dans les cours d'eau. Le rapport d'activités 2016-2017 de l'asbl n'en mentionne pas et le rapport 2018-2019 n'a pas encore été publié. Nous jouons donc notre dernière carte.
Ce n'est pas parce que les filières de collecte existent qu'elles sont utilisées par 100% de la population
Nous concluons notre quête avec un dernier acteur: Eco-Conso. C'est une asbl qui "encourage des choix de consommation et des comportements respectueux de l’environnement et de la santé". L'association a été lancée en 1991 par des organisations environnementales et de protection des consommateurs. Niveau budgets, elle est financée par la Wallonie, la Fédération Wallonie-Bruxelles, d'autres pouvoirs publics et par ses prestations.
Renaud De Bruyn, expert déchets chez Eco-Conso, estime qu'en Belgique "les filières de collecte des déchets sont assez efficaces", mais que "ce n'est pas parce que les filières de collecte existent qu'elles sont utilisées par 100% de la population, il suffit de quelques personnes pour créer des problèmes".
Concernant la pollution des rivières, le spécialiste n'a aucun chiffre à nous fournir. Dommage... Mais il a de nombreux conseils. En premier lieu, Renaud De Bruyn rappelle un élément simple mais fondamental: même si les eaux domestiques sont censées être traitées, ne prenez pas de risque et ne jetez dans vos égouts que vos déjections et du papier WC (dégradable). Rien d'autre.
L'expert nous donne aussi des pistes pour s'attaquer à l'une des causes du problème: la production de détritus, et particulièrement ceux en plastique. "Quand on fait ses achats, il y a trois grands principes qu'on peut essayer de respecter le plus possible: le vrac, le réutilisable, le recyclé. On peut les appliquer à tout: cosmétique, nourriture, boissons, etc.", confie Renaud De Bruyn. "Le but est donc d'essayer d'acheter d'abord en vrac, par exemple les fruits et légumes, les produits ménagers... Si ce n'est pas possible, on essaie ensuite de se tourner vers des produits et des emballages réutilisables, par exemple le verre, des cotons démaquillants lavables, des stylos rechargeables, etc.. Enfin, si ce n'est pas possible non plus, il reste les produits et emballages recyclés".
Vous pouvez cliquez sur ces liens pour plus de conseils sur le zéro déchet et des façons de réduire la pollution due au plastique.
Quant à notre enquête, elle s'achève ici. Sur un constat qu'en Europe, en Belgique et en Wallonie des lois sont votées pour réduire la production de déchets, que des moyens sont mis en place et que des acteurs existent bel et bien pour tenter d'endiguer le problème des rivières polluées... Mais qu'il reste encore beaucoup à faire à tous les niveaux et que, comme le disait Frédéric, chacun doit avant tout balayer devant sa porte et s'interroger sur ses bonnes et mauvaises habitudes.
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