On ne le répètera jamais assez: il ne faut pas laisser les jeunes enfants accéder à internet sans surveillance. Derrière des vidéos en apparence anodines peuvent se cacher des messages très perturbants. Des psychiatres tentent d'expliquer la crise d'angoisse de Louison, 9 ans.
Lorsqu'on laisse de jeunes enfants aller sur internet, il faut faire attention. Si c'est une incommensurable source d'informations, d'outils en ligne et de partage, c'est aussi un lieu dangereux pour les non-initiés. Si les algorithmes ne comprennent pas que la personne connectée est très jeune, les images qu’elle voit peuvent vite se transformer en armes dangereuses contre sa santé mentale.
C’est l’histoire de Louison, petit garçon de 9 ans, dont le papa aimerait prévenir tous les parents afin qu'ils soient attentifs et prudents. Son papa a contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous. "Lors de notre départ en vacances, notre petit garçon de 9 ans a fait pour la première fois une crise d’angoisse: diarrhée, vomissements et surtout délire", nous a-t-il écrit.
Papa, qu'est-ce que ça veut dire 'Sale Pute' ?
Une crise d’angoisse d’origine inconnue
Louison, 9 ans, est un petit garçon exemplaire. A l’école, il a des bons résultats, il ne dit jamais de gros mots, est charmant et de nature plutôt anxieuse. Lundi 2 août, il prend la route avec ses parents en direction des vacances. Mais au bout de 30 minutes, le voyage tourne au cauchemar… Louison se met à avoir une grosse crise d’angoisse. Il vomit, il a la diarrhée, et il pose des questions qu’il n’avait jamais posé auparavant comme "Papa, qu’est-ce que ça veut dire sale pute ?".
Difficile de trouver un pédopsychiatre
Ses parents, qui n’ont pas l’habitude de le voir dans un état pareil, vont aux urgences. Ils pensent à une méningite. Mais après les examens, aucune trace de mal physique : ce qui tourmente Louison est psychologique. Il faut trouver un pédopsychiatre qui peut le voir le plus vite possible. Mais en plein mois d’août, ce n’est pas chose facile. "J’ai fait le tour de la Belgique pour avoir un pédopsychiatre": le papa de Louison dit avoir appelé une trentaine de spécialistes avant de finalement se rendre à l’Hôpital universitaire des enfants, loin de chez lui, où il a finalement pu voir un pédopsychiatre d’urgence.
Il demande des définitions de mots horribles
Louison doit suivre une psychothérapie: "Il ne va toujours pas mieux"
"Tous les hôpitaux m’ont envoyé balader, ils m’ont envoyé vers des longues listes d’attentes". Une fois le rendez-vous finalement obtenu, Louison a passé plus d’une heure avec le pédopsychiatre pour essayer de comprendre son problème. Après cet entretien, le docteur informe les parents que leur enfant devrait suivre une psychothérapie pour commencer, et si le problème persiste, revoir un pédopsychiatre. "Aujourd’hui, mon petit garçon ne va toujours pas mieux, il pleure sans raison, il demande des définitions de mots horribles".
Comme Louison pose des questions sur des mots qui ne devraient pas figurer dans la bouche d’un enfant de 9 ans, ses parents décident de se poser avec lui pour comprendre d’où lui vient ce vocabulaire.
Des vidéos pour enfants qui cachent des horreurs
C’est alors qu’ils découvrent le récit horrifiant de leur enfant. Il a normalement l’habitude d’aller sur YouTube avec sa tablette afin de regarder des vidéos à destination du jeune public. Mais il a récemment découvert qu’en tapant les lettres YTP sur YouTube, il tombe sur des vidéos au premier regard normal : Peppa Pig, Franklin, Tchoupi… Mais il s'agit en réalité des parodies de vidéos existantes à destination d’un public beaucoup plus âgé : "Peppa Pig chez le gynécologue" ; "Trotro le drogué" ; "l’Accident de Oui Oui". Des titres incompréhensibles pour un enfant de 9 ans, qui pense regarder ses dessins animés habituels.
Un exemple parmi d'autres: de l'humour pour beaucoup, de l'angoisse pour certains (©YOUTUBE)
"Mon petit garçon est complètement retourné avec cette histoire, il ne veut plus dormir seul et veut jeter sa tablette". Louison a été exposé à des audios pornographiques et au papa de Peppa Pig décapité. Nous avons constaté, en regardant quelques vidéos, des modifications de l'image (Peppa Pig avec les yeux rouges exorbités) ou du son (cris très stridents au volume maximal) qui créent de l'angoisse. Inoffensif pour la plupart, mais pour un enfant de 9 ans…
Ses parents ne sont pas sûrs d’où il a entendu parler de ce mot clé YTP (qui signifie YouTube Poop et qui existe depuis de nombreuses années), mais se doutent que le mot passe dans la cour de récréation de l’école primaire, et que de nombreux enfants ont surement vu les mêmes vidéos. "Récemment il a passé la journée avec un ami et ils ont regardé des images sur la tablette".
Pourquoi ces images sont-elles traumatisantes ?
Maurice Johnson-Kanyonga, psychologue et expert en éducation nous explique. Peppa Pig est un dessin animé chaleureux, affectif, la rythmique est rassurante et l’enfant s’associe à cet univers. Il se crée des repères autour de ces vidéos. Lorsque l’enfant tombe sur une vidéo choquante, cela va le perturber, mais le fait que cette vidéo soit associée à des choses rassurantes comme Peppa Pig, aggrave la situation : c’est là que le traumatisme va se créer.
"Non seulement c’est violent et choquant, mais en plus ça détruit l’univers qu’il avait imaginé et toutes les représentations qu’il se faisait par rapport à ça. Donc c’est bien plus choquant, bien plus brutal encore que le simple fait d’être exposé à des contenus violents : il y a une destruction de certains repères que l’enfant avait."
Cette remise en cause de ses repères va bouleverser l’enfant : "Quand on déstabilise les repères d’un enfant, il prend peur".
Ces images sont traumatisantes, mais elles sont aussi dangereuses. Maurice Johnson-Kanyonga met en garde : il faut être vigilant car à force d’être mis face à ces images, l’enfant va "les banaliser", les trouver normales, et c’est très dangereux.
Comment éviter un tel scénario ?
Conseils de l’expert Maurice Johnson-Kanyonga :
SURVEILLER l’enfant et discuter. "Très honnêtement, le système de contrôle et de protection des plus jeunes n’est pas infaillible, donc il y a toujours des risques que les enfants soient exposés". Une surveillance qui passe par la discussion grâce à trois questions simples : Qu’est-ce que tu regardes ? De quoi ça parle ? Qu’est-ce que tu en penses ?
Ces questions permettent de surveiller ce que l’enfant regarde mais aussi d’ouvrir le dialogue. Le parent peut ensuite donner des explications, recadrer, donner du sens à ce que l’enfant a vu et ne comprends pas. Il y a un intérêt éducatif dans cette discussion pour éveiller l’esprit critique de son enfant qui n’a peut-être pas la maturité pour décoder ce qu’il trouve sur internet. On évite alors aussi que son enfant finisse par adopter ces images comme des vérités ou des standards.
INTERDIRE. Pour éviter aux enfants de voir ces images, Maurice Johnson-Kanyonga conseille l’interdiction d’accès à certains outils d’internet. Mais jusqu’où peut aller l’interdiction ? Une question très difficile que chacun doit juger par lui-même. On craint souvent que son enfant se retrouve exclu dans les conversations de cours de récréation à cause de cette interdiction, mais elle est importante et ce n’est pas une excuse pour tout accepter.
"Il y a des choses qui ne sont vraiment pas appropriées pour des enfants, qui sont même dangereuses dans leur développement. Ce n’est pas l’écran qui est mauvais, c’est l’utilisation qu’on en fait qui est dangereuse. Donc quand ce n’est pas approprié, il faut quand même avoir cette conscience et cette justesse d’esprit de l’interdit en expliquant à l’enfant pourquoi. Il n’y a aucun problème à ce qu’un enfant dise dans une cour de récréation 'Je n’ai pas vu car ma mère ne veut pas que je regarde'. C’est une réponse tout à fait ordinaire, naturelle, qui va peut-être en surprendre plus d’un, mais qui se fait dans l’intérêt de l’enfant".
Il y a aussi des OUTILS de surveillance et restrictions sur les logiciels de vidéos qui permettent de se rendre dans la rubrique Kids réservée aux enfants. C'est le cas de YouTube Kids, pour prendre la plus populaire.
Bien qu’elle puisse parfois ne pas être infaillible, c’est un outil qui permet au moins un contrôle de visibilité. Certains logiciels ou matériels (routeurs internet) permettent de filtrer les contenus, ou de bloquer l'accès à internet à telle heure, pour un tel appareil. Mais il est fort à craindre que les parodies de Peppa Pig qui ne contiennent pas d'images pornographiques ou réellement choquantes (on est dans la suggestion), passent à travers les mailles du système.
Comment l'aider à retrouver le sommeil ?
La nuit, le noir étant associé à la peur, l’enfant rencontre des difficultés pour s’endormir, car c’est à ce moment-là qu’il revoit toutes ces images. La professeur Marie Delay, présidente de la société Belge Francophone de Psychiatrie et Disciplines associées de l’enfance et de l’adolescence et chef de service pédopsychiatrie à l’hôpital Erasme, donne des conseils pour aider l’enfant à dormir. Il faut bien le rassurer sur le fait que ces images ne correspondent pas à la réalité. Il est important d’installer des rituels le soir. Raconter des histoires sans tension, des histoires calmes comme dans les livres pour enfants, pour leur remplir la tête avec des choses positives.
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