Moins de 10% des amendes de roulage sont actuellement réglées en ligne, vie un site web, amendesroutieres.be, lancé il y a deux ans par tous les acteurs concernés. Si de manière générale, le système fonctionne correctement, il n'est pas à l'abri de problèmes, et les remboursements s'accumulent. Yvon attend depuis longtemps pour récupérer ses 110 euros, et il ne compte pas lâcher l'affaire.
En 2017, le Service public fédéral (SPF), la Police, la Mobilité et les Finances se sont alliés pour informatiser le cycle des amendes routières. Derrière le site amendesroutieres.be se cache une procédure simplifiée permettant d'automatiser la perception des PV. L'idée est de réduire la durée de traitement des amendes, d'en faciliter le paiement et d'éviter l'envoi inutile de papier.
L'idée est bonne mais vous l'imaginez, numériser des procédures manuelles qui rassemblaient des acteurs issus de la police (qui constate l'excès de vitesse), de la justice (c'est le parquet qui reçoit l'argent) et de bpost (qui centralise une partie des paiements), ça sent le dysfonctionnement...
Yvon et sa compagne en sont victime depuis… près d'un an. "Nous avons été débité deux fois de 110€, et ça fait 9 mois que j'attends le remboursement", nous a-t-il confié via notre bouton orange Alertez-nous.
Un banal excès de vitesse
Tout a commencé au mois de mai de l'année 2018. "C'est ma compagne qui conduisait la voiture", précise cet habitant de Courcelles âgé de 48 ans. Elle ne l'avait pas remarqué, mais "probablement un radar" l'a contrôlée "en ville, à Trazegnies, où la vitesse est limitée à 50 km/h".
Dans "un courrier qui nous a été envoyé le 6 juin", le couple apprend que sa voiture a été contrôlée "à une vitesse corrigée de 64 km/h". Un banal excès de vitesse, somme toute :
Depuis 2017, il est possible de régler son amende directement en ligne, via le site amendesroutieres.be. Une option jugée adéquate par Yvon. “Je fais beaucoup de choses en ligne et je trouve ça relativement pratique, surtout par rapport à l’ancien système nécessitant de devoir payer via un virement après un courrier supplémentaire. J’ai voulu faire confiance à leur système”.
En 2018, première année complète de disponibilité de ce moyen de paiement immédiat en ligne, un peu moins de 10% des amendes routières ont été réglées de cette manière. Un pourcentage en augmentation d’après les premiers chiffres de 2019.
Yvon a donc sorti son Digipass et a payé la somme de 110€. "Normalement, c'était 97€, mais j'ai oublié et puis je suis parti en vacances quand le rappel est arrivé, donc j'ai eu droit à une majoration". Lors du paiement en ligne, finalement le 16 août 2018, "je n'ai constaté aucun message d'erreur, tout s'est bien passé". Il n'y a pas d'email de confirmation, car le contrevenant n'est pas obligé de laisser ses coordonnées.
Il vérifie ses extraits de compte un mois plus tard, et…
Ce n'est que quelques semaines plus tard qu'Yvon tombe sur une mauvaise surprise. "J'ai fait le check-up de mes comptes, début septembre. Je parcours la liste, comme d'habitude, et je vois deux virements sortants de 110€ l'un après l'autre. Je me dis que c'est bizarre. Et en regardant, je vois que c'est deux fois un virement vers 'BPOST', avec deux références bancaires différentes. Il n'y a pas la référence du compte du destinataire".
Dans un premier temps, Yvon se "demande ce que c'est", puis "retombe sur cette amende de 110€". Notre témoin de la région de Courcelles pense à une simple erreur. "Je me suis dit qu'ils s'étaient trompés, qu'ils avaient débité deux fois".
Commence alors le parcours du combattant pour faire comprendre ce qui s'apparente à un simple bug, facile à prouver pour Yvon, et a priori facile à constater par les autorités responsables de la plateforme.
La preuve est là, dans les extraites de compte d'Yvon...
7 appels en 9 mois: toujours rien
Sur l'amende routière qu'il a reçue en format papier, invitant au paiement, Yvon remarque un numéro de téléphone. "Il y a un petit carré bleu 'amendesroutieres.be', et des coordonnées en cas de question".
C'est le début d'une très longue série d'échanges téléphoniques, digne des pires services clientèles. "C'est un call-center, et je me suis fait balader depuis l'année dernière. La première fois, on m'a dit qu'on allait m'envoyer un document pour faire la demande de remboursement. J'aurais dû le recevoir dans les 20 jours, mais je n'ai jamais rien reçu". Son premier appel date du 6 septembre.
Le 22 octobre, il les relance, et apprend que "le document n'a pas été envoyé et va être renvoyé". Le 19 novembre, il apprend que "les remboursements peuvent prendre jusqu'à 6 mois, on me dit donc d'attendre jusqu'en février", le double paiement datant du mois d'août 2018.
Il rappelle une nouvelle fois et apprend "qu'il y aura du retard, et que les remboursements auront lieu le 31 mars. J'ai tout noté car je savais que je m'embarquais dans une histoire de fou". Il apprend également qu'il "n'est pas le seul à qui ça est arrivé". Il reste alors "un peu naïf", pensant qu'il y a "une défaillance dans leur système" qui sera bientôt corrigée et "beaucoup de dossiers à traiter".
Patient, Yvon prend à nouveau son téléphone le 11 avril, "ça faisait déjà 7 mois". On lui fait "ré-encoder en direct sa demande de remboursement" car visiblement, "tous mes appels précédents ont fait chou blanc".
Enfin, le 5 juin, avant de nous contacter, notre témoin apprend en téléphonant à nouveau au call-center qu'il "faut voir avec le parquet". Le parquet de Charleroi a ensuite tout fait pour l'aider, mais il n'a constaté aucun double paiement. "Ils ont reçu mon paiement une fois et le dossier est clôturé de leur côté".
C'est donc l'impasse pour Yvon.
Son dossier est effectivement clôturé par le paiement via le site web du 20 août
Une informatisation du système pour "réduire le papier" et améliorer "la gestion administrative"
Depuis le 3 juillet 2017, "la Justice, la Police, la Mobilité, les Finances et des partenaires ICT ont entamé l’informatisation de la gestion des amendes routières", peut-on lire dans un communiqué de l'époque. Baptisé 'Crossborder', le projet consiste en une automatisation poussée du traitement des amendes routières. D'abord, la Police introduit une infraction de roulage dans le système. Puis, l'amende de roulage est envoyée automatiquement par la poste. Ensuite, il appartient à la Justice de poursuivre le contrevenant et d’organiser le paiement.
Le but de cette automatisation est de réduire la consommation de papier ainsi que la charge administrative ; et de fournir un aperçu complet de l’ensemble des infractions de roulage commises par une seule personne (avec à la clé des sanctions plus dures pour les multirécidivistes).
En 2018, d'après des chiffres fournis par le SPF Justice, près de 5 millions d'amendes de roulage (+20% par rapport à 2017) ont été infligées. Seulement 290.000 d'entre elles ont été payées en ligne, sur le site amendesroutieres.be.
770 cas de double paiement en 2018
Contactée par nos soins, la porte-parole de ce service public fédéral n'a pas été en mesure d'expliquer le double prélèvement sur le compte d'Yvon. "Son dossier est effectivement bien clôturé par le paiement via le site web le 20 août", nous a-t-elle confirmé, précisant que le SPF "essayait encore de comprendre" le cas de notre témoin.
Le service public reconnait cependant que, rien qu'en 2018, il y a eu 770 cas de double paiement en ligne. Un "bug", qui s'expliquerait par le fait que le justiciable clique deux fois sur le bouton de paiement, ce qu'Yvon dément. Toujours d'après le SPF, l'interface aurait du empêcher ce double paiement. "Nous sommes en train de mettre en place une procédure pour pouvoir traiter ce genre de situation très spécifique et donc rare avec nos partenaires", a-t-on appris.
Autre élément qui explique (en partie) le retard: le SPF doit "enquêter" sur chaque cas, par exemple pour vérifier si le justiciable ne doit pas d'argent par ailleurs. De plus, ces remboursements sont regroupés et pas effectués un par un.
"Le remboursement automatique des paiements erronés des contrevenants a repris le 4 avril 2019". Il y a les doubles paiements, mais aussi "les dossiers concernant des paiements soit sans aucune communication, soit avec une communication libre sans aucune référence identifiable, soit une communication structurée ne correspondant à aucun dossier".
"Comme un pitbull"
Yvon ne compte pas lâcher l'affaire. "Avec l'âge, on apprend à être diplomate, mais moi, je suis comme un pitbull, quand j'accroche, je ne lâche pas. J'ai eu 15 jours de retard et j'ai dû payer une majoration. Ici, ça fait 9 mois que j'attends, et je n'ai rien ! Je ne compte même pas les intérêts, je sais que je peux m'asseoir dessus. S'ils me remboursent, c'est déjà bien".
Il "va continuer à les rappeler et à relancer l'affaire, jusqu'à ce que quelqu'un prenne 5 minutes pour comprendre où est mon argent".
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