Plusieurs personnes nous ont reproché ce week-end d'avoir qualifié l'évènement de samedi à Bruxelles d'illégal, alors que selon eux, seules les mesures sanitaires imposées depuis des mois le seraient. Alors, légale ou illégale, cette boum 2 ? Différents acteurs ont des avis... différents. Entre blanc, noir et gris.
À la suite de la "Boum 2" ayant eu lieu ce samedi 1er mai, des citoyens nous ont interpellés via le bouton orange Alertez-nous par rapport à la manière dont nous avons défini cet évènement. "Serait-il possible de corriger vos écrits concernant le caractère illégal des rassemblements qui ont eu lieu samedi? En effet, ces derniers n'ont rien d'illégal comme le mentionne le jugement du mois de mars. Dans un souci de partage d'une information juste, et si vous désirez continuer à parler d'illégalité, vous pouvez cependant rappeler que les mesures prises par le gouvernement ont, quant à elles, été jugées illégales et devaient être abolies", nous a par exemple écrit Jess.
La situation est loin d'être simple, comme c'est souvent le cas quand on mélange politique, droit et santé publique.
Les organisateurs devaient demander une autorisation, ils ne l'ont pas fait
Commençons par caractériser la "Boum 2". Cette seconde édition de l’événement, comme la première d’ailleurs, n’a pas fait l’objet d’une demande de la part des organisateurs, ce qui est pourtant formellement obligatoire. Tout rassemblement, quelle que soit sa dénomination (manifestation, événement festif, etc…), exige effectivement une demande d’autorisation préalable auprès de la commune ou de la zone de police concernée.
Du fait de ce manque de demande d’autorisation, le Cabinet du bourgmestre de la Ville de Bruxelles, en charge de répondre aux demandes introduites, n’était pas en mesure de pouvoir interdire, ni même autoriser l’événement.
La garantie de la sécurité de tous ne pouvant cependant pas être assurée, la "Boum 2" a dès lors obtenu le statut "non autorisée".
Idéalement, il aurait fallu pouvoir analyser les revendications et négocier les aspects logistiques au travers d’une demande pour envisager une potentielle autorisation. Malheureusement dans ce cas-ci, il n’y a eu ni demande, ni même communication possible avec les organisateurs.
De nombreuses instances, dont le Cabinet du bourgmestre, le parquet de Bruxelles et la police se sont alors mobilisées pour sensibiliser la population à ne pas se rendre à sur place. Ce qui semble avoir bien fonctionné, selon Philippe Close, bourgmestre de la Ville de Bruxelles (voir le bilan de la "Boum 2").
Fait étonnant, pour la 3e édition, une demande a été faite par les organisateurs, et la Ville va tenter de négocier un cadre précis pour l'autoriser.
Quoi qu'il en soit, si la police est intervenue, c'est parce que la "Boum 2" était un évènement interdit car non autorisé. Il était donc "illégal" de ce point de vue.
Légales ou pas, les "mesures covid" ?
Si une demande avait été introduite, la Ville et la police auraient probablement interdit cette "boum", car les mesures (distanciation sociale, rassemblement de maximum 10 personnes, etc) n'auraient pas été possibles à respecter et surveiller.
Mais, justement, les mesures anti-Covid sont-elles légales ? Non selon certains citoyens qui nous ont rappelé, via le bouton orange Alertez-nous, la décision d'un tribunal de Bruxelles il y a plus d'un mois.
Pas une, mais DES décisions de justice
Il s'agit bien d'une décision, parmi d'autres, d'une instance judiciaire par rapport à toutes les 'mesures covid' qui impactent nos vies depuis plus d'un an. Le 30 mars dernier, le tribunal de première instance de Bruxelles estimait que les arrêtés ministériels du SPF (Service Public Fédéral) Intérieur (donc toutes les mesures prises au niveau fédéral, comme le port du masque, la fermeture de l'horeca, le télétravail) n'avait pas de cadre légal suffisant. Il donnait 30 jours pour y remédier, sous peine d'astreinte de 5.000 euros par jour de retard en faveur du plaignant, à savoir La Ligue des Droits Humains.
Mais une autre instance, le Conseil d'État, avait préalablement estimé, via plusieurs décisions récentes, au contraire, que les mesures anti-Covid étaient légales.
Le tribunal de première instance de Bruxelles et le Conseil d'Etat sont deux institutions juridiques distinctes. Elles ne jouent pas le même rôle dans le système judiciaire belge. Dans les cas des mesures anti-Covid, elles ne sont donc pas d'accord, tout en respectant les conclusions de l'autre partie. Il y a un débat, ce qui prouve que le sujet est sensible et que comme souvent dans le droit, il y a matière à interprétation. Ce débat est sain, selon un constitutionnaliste que nous avons consulté: il prouve l'indépendance du pouvoir judiciaire, en son sein et par rapport au pouvoir exécutif.
Des arrêtés ministériels pour répondre à une urgence
Rappelons que la situation est inédite, il faut l'avouer. L'épidémie évolue régulièrement, dans le bon ou le mauvais sens, et il faut pouvoir 'confiner' ou 'déconfiner' la population en l'espace de quelques jours. Impossible de faire passer des lois à chaque fois: ça prend souvent des mois car il faut un projet de loi, un débat au Parlement… Raison pour laquelle nos vies dépendent actuellement d'arrêtés ministériels, qui imposent la fermeture de l'horeca et le télétravail, par exemple. Il s'agit d'actes (règles pratiques) qui émanent du pouvoir exécutif (gouvernement) et qui se basent sur une loi issue du pouvoir législatif (parlement).
Les 30 jours de délai sont dépassés: que va-t-il se passer ?
Le tribunal de première instance de Bruxelles avait donné 30 jours. Cette période est à présent terminée. L'État va-t-il commencer à payer les 5000 euros d'astreinte par jour de retard ? La Ligue des Droits Humains peut en effet désormais réclamer ces astreintes (ce qu'elle a décidé de ne pas faire, son but étant qu'il y ait un débat au Parlement au sujet de la base légale des mesures, et non de gagner de l'argent).
Mais, attention, les mesures ne sont pas subitement devenues illégales le 1er mai, elles ne le sont qu'aux yeux du tribunal bruxellois, pas du Conseil d'Etat. Pour qu'elles soient "officiellement" déclarées illégales, il faudrait qu'un niveau supérieur de juridiction, la Cour constitutionnelle ou la Cour de Cassation, tranche la question, ce qui prendrait des mois, voire des années.
Loi Pandémie
On est donc dans un certain flou juridique, une zone grise, une "phase de décantation", nous a soufflé notre professeur d'université spécialisé. La Ministre de l'Intérieur estime par ailleurs que le fait d'avoir déposé un projet de loi (la 'Loi Pandémie', qui donnerait un cadre légal nouveau aux mesures actuelles, est actuellement discutée au Parlement, mais l'opposition joue son rôle et elle ne sera pas simple à faire passer) est une réponse suffisante à la demande du tribunal bruxellois de "mettre fin à la prétendue irrégularité". La ministre de l'Intérieur Annelies Verlinden rappelle donc que "les mesures sanitaires restent en vigueur et qu’aucune modification n’est donc apportée au niveau du contrôle du respect" de ces mesures.
Il y a débat
En conclusion, il existe actuellement un débat au sein des mondes politiques et judiciaires en Belgique. Certains estiment que l'État a le droit d'ouvrir et fermer les vannes de nos vies sociales et professionnelles avec des arrêtés ministériels ponctuels, d'autres pas. Il n'est donc pas juste de dire que les mesures sont officiellement illégales: la ministre de l'Intérieur estime avoir répondu correctement aux injonctions du tribunal bruxellois qui condamnait "ses" mesures (on pourrait l'interpréter différemment, un appel est d'ailleurs en cours) ; le Conseil d'État, haute instance juridictionnelle, a pour l'instant donné raison à cette manière de fonctionner…
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