Tandis que la Belgique se déconfine par phases, les maisons de repos restent sous étroite surveillance. Les visites sont rares et la solitude parfois insupportable. C'est le cas pour Jeanine, la mère de Joelle. Atteinte du Covid-19, elle est passée de l’hôpital à la maison de repos, enchaînant 4 semaines à l'isolement. Très active, dynamique, habituée à sortir très souvent, Jeanine vit extrêmement mal la période actuelle. Ce coup d'arrêt soudain dans sa vie sociale la plonge dans un état de détresse. "Elle est clairement en souffrance", raconte sa fille Joelle via notre bouton orange Alertez-nous.
Un confinement d'autant plus dur que Jeanine venait de perdre son mari
Le mari de Jeanine est décédé au mois d'octobre 2019. Handicapée par un fémur et un humérus cassés, elle ne pouvait plus vivre seule dans la maison familiale. Elle a rejoint la résidence Parkside, à Laeken, le mois suivant. Celle-ci compte 129 chambres. La sienne mesure 25 m2, avec vue sur un square verdoyant. Elle avait des activités, des sorties et des visites nombreuses, malgré sa chaise roulante. "Elle était rarement seule, chose à laquelle elle avait bien du mal à s’habituer", raconte Joelle.
C'était jusqu'au 11 mars, lorsque les autorités bruxelloises ont interdit les visites dans les maisons de repos de la région. A partir de ce moment, Jeanine ne voyait plus que les soignants trois ou quatre fois par jour aux moments des repas. "J’ai tout de suite pensé que cela allait mal se passer pour ma maman", raconte Joelle.
Fin mars, Joelle a décidé de loger sa mère chez elle. Jeannine présentait alors tous les symptômes du coronavirus. Elle a pu compter sur les soins de fille pendant un mois jusqu'à ce que celle-ci doive reprendre le travail.
Testée positive, Jeanine a été hospitalisée dans une unité Covid-19
Petit à petit, le Covid-19 a, semble-t-il, atteint le cerveau de Jeanine. Elle était prise de "crises de plus en plus violentes, avec beaucoup de confusion", raconte Joelle. Si ce n'est pas la majorité des cas, le Covid-19 peut effectivement avoir des "manifestations neurologiques", indique le docteur Yves Van Laethem, infectiologue et porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid-19. Ce virus peut causer des "micro thromboses cérébrales", avec des conséquences variées, comme des troubles du comportement, explique-t-il, d'autant plus chez une personnes âgée dont le cerveau peut avoir connu des problèmes vasculaires par ailleurs.
Fin avril, Jeanine a été hospitalisée une nuit à l'hopital Brugmann avant de revenir à la résidence Parkside. De retour au home, Jeanine a eu la confirmation qu'elle était atteinte du Covid-19. Les dépistages menés petit à petit dans la résidence ont permis d’identifier 7 résidents et 4 membres du personnel positifs Covid, indique Virginie Seince, porte-parole de LNA Santé (groupe auquel appartient la résidence Parkside).
Confinée au home, Jeanine a recommencé ses crises de démence et de confusion. "C'est à dire ouvrir les fenêtres, crier au secours, écrire S.O.S avec son rouge à lèvre sur les fenêtres", raconte Joelle. Jeanine est donc retournée à l’hôpital, où elle est restée à l'isolement 15 jours dans unité Covid-19.
Des longues journées où on l’assoit dans un fauteuil de 9 à 19 heures sans voir personne ou presque
Après l'hôpital, toujours plus de solitude à la résidence
Jeanine était de retour à la résidence début mai. À ce moment-là, les visites étaient de nouveau autorisées dans les maisons de repos. Une reprise organisée "dans le respect strict des recommandations d'Iriscare (l’autorité de tutelle) qui demande aux établissements de rester très prudents, compte tenu de l’ampleur de l’épidémie en Belgique", précise Virginie Seince. Parmi les recommandations d'Iriscare, un isolement de 14 jours est prévu pour les résidents de retour d’hospitalisation. "Nous comprenons que cette situation puisse être déstabilisante, mais elle est nécessaire pour la sécurité de vos résidents, étant donné que le milieu hospitalier est un environnement où le risque de contamination est élevé", justifie Iriscare sur son site internet, à l'attention des services résidentiels.
Jeanine a donc enduré encore deux semaines pénibles de solitude. "Des longues journées où on l’assoit dans un fauteuil de 9 à 19 heures sans voir personne ou presque", déplore Joelle. Pour elle, cet isolement obligatoire à la sortie de l'hôpital est une "forme de maltraitance" envers les personnes âgées. "Si on avait pu préparer ça, les mises en quarantaine, le confinement, auraient pu être accompagnés de mesures de socialisation", estime Ermelinde Malcotte, porte-parole de l'Asbl Espace Seniors.
Des vidéoconférences dont Jeanine n'a pas pu vraiment profiter
La résidence a engagé une animatrice supplémentaire qui, quatre après-midi par semaine, va de chambre en chambre avec une tablette pour que les résidents et les familles qui le souhaitent puissent se parler en Visio-caméra. "Avec certains résidents cela fonctionnait très bien, avec d'autres, la technologie était un obstacle du fait de leur état de santé", constate Virgine Seince. À son âge, la technologie représente effectivement une difficulté pour Jeanine, confirme Joelle. Et la communication passe d'autant plus mal que Jeanine n'entend pas très bien. "Quand je l'appelle, elle est vraiment en souffrance, déplore Joelle. Elle veut sortir". "Le personnel fait surement ce qu'il peut mais ne pourra jamais remplacé quelqu'un comme moi qui est plus proche et peut être aux petits soin", ajoute-t-elle.
Dans les maisons de repos, le personnel est en général en nombre insuffisant, explique Ermelinde Malcotte (Espace Seniors) : "Quand tout roule bien, c'est déjà la course..." Pour que les résidents puissent bénéficier de meilleurs soins, cela passerait d'abord par l'embauche de nouveaux soignants, puis la revalorisation du métier d'aide-soignant, estime-t-elle. "Après, il y a peut-être des questions de technologie, etc. Mais l'urgence cela reste le personnel".
Je veux bien vivre... mais pas comme ça. Même pendant la guerre je n'ai pas connu ça
Une visite de 30 minutes par semaine, très insuffisant pour garder le moral
Après 4 semaines passées à l'isolement, Jeanine a enfin pu revoir Joelle. "Les retours sont très positifs !", assure Virginie Seince à propos des visites qui sont organisées au compte-gouttes. Un sentiment que ne partage pas du tout Joelle et sa mère, bien au contraire... La maison de repos organise des visites, certes, mais "dans le respect strict des recommandations d'Iriscare", précise Virginie Seince. Une rigueur inhumaine pour Joelle, qui reproche à la directrice du home de vouloir être "plus catholique que le pape". Une seule visite par semaine maximum, d'une durée de 30 minutes, est autorisée. Pas de quoi remonter le moral de Jeanine. "Je veux bien vivre... mais pas comme ça. Même pendant la guerre je n'ai pas connu ça", a-t-elle confié à Joelle. "Jeanine est furieuse, elle en marre, elle ne voit personne", n'a pu que constater sa fille lors de cette rencontre.
Outre la limitation stricte des visites, l'interdiction des sorties qui va de paire est parfois perçue comme une "privation de liberté", constate Dominique Langhendries, directeur de Respect Seniors (agence wallonne de lutte contre la maltraitance des aînés, 0800 30 330). "Pourquoi moi je ne peux pas sortir alors que le personnel va et vient ? C'est le genre de réflexion qu'on a", rapporte-t-il. Ermelinde Malcotte (Espace Seniors) rappelle l'importance de la balance bénéfice/risque pour les questions de santé. "Ne pas sortir, et par exemple perdre la marche, c'est peut-être plus grave que de tomber malade", explique-t-elle.
À l'échelle nationale, l'interdiction des visites dans les maisons de repos n'a pas empêché la catastrophe. "Étant donné l'impréparation du gouvernement, il n'y avait pas le choix. Mais quand on voit le résultat... On peut se poser la question de savoir si c'était finalement une bonne décision", estime Ermelinde Malcotte. Jusqu'à présent, 51% des personnes décédées du Covid-19 étaient des résidents de maison de repos et de soins. Certains sont morts sans dire pouvoir dire au revoir à leur famille, d'autres sont restés de longues semaines avec pour tout contact, celui de soignants surchargés de travail.
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