Des riverains du centre-ville désespèrent: ils ne reconnaissent plus le cœur de la capitale depuis que le piétonnier a été installé. "C'est rempli de sans-abris fortement alcoolisés, des types parfois violents", témoigne Zeki "Je n'ose plus marcher seule le soir", affirme Vanessa. De son côté, le bourgmestre estime que ceux qui pensent que le piétonnier est "un aimant à racailles", "sont des gens qui n’ont jamais levé le derrière de leur fauteuil (…) et feraient bien de venir se promener en ville". Alors, qui dit vrai?
Quand Vanessa (prénom d'emprunt) a entendu les propos d'Yvan Mayeur à propos du nouveau piétonnier dans le centre-ville de Bruxelles, son sang n'a fait qu'un tour. Récemment, sur Bel RTL, le bourgmestre de la Ville de Bruxelles affirmait que ceux qui estiment que le piétonnier est "un aimant à racailles", "sont des gens qui n’ont jamais levé le derrière de leur fauteuil et qui devraient quitter leur écran d’ordinateur et venir un peu se promener en ville".
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Ces propos ont révolté Vanessa, restauratrice depuis plusieurs années dans le centre-ville. "Je suis choquée d'entendre ça, surtout de sa part, s'offusque-t-elle, après nous avoir joints via notre page Alertez-nous. Moi, je l'invite à se balader le soir en ville sur le piétonnier avant de parler de la sorte. Les agressions, on les a vécues réellement, pas derrière un ordinateur comme il le prétend. Peut-être se balade-t-il le dimanche après-midi quand il fait beau sur le piétonnier, mais le soir, c'est autre chose!".
"Il y a des bandes qui nous harcèlent"
C'est que Vanessa connaît bien son quartier. Depuis 4 ans, elle tient un restaurant dans le quartier Saint-Jacques, situé près du boulevard Anspach à Bruxelles, et récemment, son quotidien s'est sérieusement détérioré, assure-t-elle. Depuis que le piétonnier a été installé dans le centre-ville, elle n'ose carrément plus y passer seule à pied. "Avant, il y avait des sans-abris inoffensifs, qui mendiaient sans importuner les passants. Aujourd'hui, il y a des bandes qui nous harcèlent et qui nous poursuivent en rue pour qu'on leur donne de l'argent!", dénonce-t-elle. Leur objectif, selon Vanessa: se procurer de l'alcool, des cigarettes, peut-être de la drogue. "L'un de nos clients âgés nous a même demandé s'il pouvait se réfugier à l'intérieur de notre restaurant: un individu le harcelait en rue pour qu'il lui donne 5 euros!".
"Plus d'agressions, de bagarres, de gens ivres: la différence est énorme!"
Un sentiment tout à fait partagé par Zeki, un Bruxellois de 35 ans. Il habite dans le centre-ville depuis 4 ans et demi. Et pour lui, c'est du jamais vu. "Depuis que le piétonnier a été installé, la différence est énorme, observe le jeune homme, habitué à la vie nocturne bruxelloise. "Avant il y avait moins de clochards, mais maintenant, le piétonnier est rempli de sans-abris fortement alcoolisés. Des types parfois violents traînent là. Ce mobilier urbain favorise le squattage. En rentrant d'un concert dimanche soir avec ma copine, on a vu une personne sans-abri frapper deux jeunes qui marchaient en rue". Lui qui aime profiter presque chaque week-ends de soirées et concerts organisés dans le centre, n'a jamais vu sa ville dans un état pareil: "Il y a beaucoup plus d'agressions, de bagarres, de gens saouls qui squattent, de passages d'ambulances, de bruit et d'insalubrité".
La Ville dit agir: "On les emmène en salle de dégrisement"
Où se situe la vérité? Le centre-ville est-il pris d'assaut par des "bandes"? Est-ce une impression ou le reflet fidèle de la réalité? Selon le cabinet du bourgmestre, la Ville agit activement pour régler les éventuels débordements. "Samedi dernier, la Ville a procédé à la fermeture pour une période de sept jours d’un établissement problématique du boulevard Anspach (…), rappelle le cabinet. Cet établissement était source de nuisances multiples (tapages, bagarres, ivresses, …). Il ne s’agira pas d’un one shot".
Le cabinet affirme aussi lutter contre l'ivresse publique, mais rappelle les limites de son action: "Le 29 juillet et le 12 septembre, nos services ont mené deux actions visant à lutter contre les ivresses publiques excessives. Plus concrètement, toute personne présentant un danger pour elle-même ou pour autrui du fait de son comportement sur le piétonnier a été emmenée en salle de dégrisement le temps nécessaire à ce qu’elle retrouve ses esprits. En vertu de l’article 19 de la Constitution consacrant la liberté de rassemblement, la police ne peut cependant pas intervenir sur ce point, sauf si bien évidemment une infraction est commise. Il faut respecter le cadre légal existant".
Le mari de Vanessa se fait agresser… pour une cigarette
Pour Vanessa, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été l'agression de son mari. "Il est sorti fumer une cigarette, il était 17h00, se souvient-elle. Là, un homme lui en demande une, mais mon mari refuse. L'individu devient agressif et insiste. Mon mari le prévient que s'il continue, il appellera la police. Là, l'individu l'a poussé et s'est mis à le frapper". Résultat: des contusions à l'œil et des coups reçus à l'épaule. "Tout ça pour une cigarette", soupire Vanessa.
Les policiers seraient au courant: "Ils ne peuvent rien faire!"
Vanessa et son mari font constater les blessures chez un médecin et portent plainte. Ils confient aux policiers leurs observations: des bandes d'individus agressifs (potentiellement alcoolisés ou drogués) squattent sur le piétonnier, le climat se dégrade de jour en jour et se balader dans le centre-ville devient dangereux. Et en entendant la réponse des policiers, le couple de Bruxellois n'en croit pas ses oreilles: "Ils étaient tout à fait d'accord avec nous!, s'étonne Vanessa. Ils nous ont dit qu'ils voyaient bien que ça se dégradait, mais qu'ils étaient impuissants car les autorités ne leur donnaient pas plus de moyens pour agir". (…) "C'est bien de vouloir faire un piétonnier, j'y suis tout à fait favorable, encourage-t-elle. Mais, il faut donner les moyens aux forces de l'ordre d'assurer la sécurité de tous. Moi, je n'ose plus marcher seule dans le centre le soir et les gens de mon entourage ressentent exactement la même chose".
Et pourtant, selon le cabinet, la délinquance a baissé ces derniers mois. "La zone piétonne n’a pas induit une plus grande criminalité, dit le cabinet. Les chiffres ci-contre prouvent même que l’on enregistre bien moins de faits suite à la présence policière, mais également au travail préventif et répressif mis en place depuis son instauration". Et le cabinet de révéler les chiffres comparatifs concernant une période allant du 26 juin au 21 septembre 2014 et 2015. Les signalements de coups et blessures volontaires sont passés de 260 à 139, les injures de 18 à 12, les vols avec violence de 111 à 94 et les vols à la tire de 240 à 161.
C'était prévisible: "C'est l'un des effets pervers connus des piétonniers"
La plateforme Pentagone, qui critique la façon dont le piétonnier a été pensé, est au courant de ces problèmes avec des personnes ivres. "La journée, vous avez un public familial qui s'amuse, des jeunes à vélo, des petits qui jouent, mais une fois passée une certaine heure, la rue est un peu prise d'assaut par des personnes qui souvent sont ivres et agressives", appuie Marie-Anne Swartenbroekx, porte-parole de la plateforme. Mais n'était-ce pas prévisible? "Si, répond la plateforme. A nouveau, c'est un problème auquel la ville aurait dû penser avant! Car l'insécurité le soir, à partir du moment où il y a peu de circulation, est un des effets pervers connus des piétonniers. Donc, il aurait fallu avoir une présence policière visible pour prévenir un certain nombre d'écarts".
La Ville: c'est l'inverse, il n'y a pas une hausse mais une BAISSE de la criminalité
"Encore une fois, on ne constate pas objectivement de hausse de la criminalité mais plutôt une baisse, se justifie le cabinet. Il y a certes eu ponctuellement plus de malpropreté, mais les réponses ont, là aussi été apportées : nettoyage renforcé tôt le matin, ajout de 80 corbeilles supplémentaires, campagne de sensibilisation, incivilités sanctionnées et ouverture d’un numéro vert (le 0800/85.585, ndlr) et d’une adresse mail (info@plandecirculation.be) pour pouvoir apporter une réponse rapide".
Ce n'est pas fini: Vanessa et son mari tombent nez-à-nez avec l'agresseur!
La police n'est pas parvenue à mettre la main sur l'agresseur du mari de Vanessa. Mais quelques jours plus tard, surprise: le couple aperçoit l'individu dans le quartier. L'homme errait une nouvelle fois au niveau du piétonnier. "Nous l'avons reconnu, assure Vanessa. Il traîne là tous les soirs, apparemment. Il était saoul ou drogué". La police l'interpelle, mais selon la restauratrice, elle le relâche rapidement. "On l'a revu dehors après 30 minutes!, s'étonne-t-elle. Il n'est même pas passé par la cellule de dégrisement. Il fait partie de ces groupes d'individus qui squattent toute la soirée au piétonnier en train de boire et fumer. Si c'est ça l'image de Bruxelles qu'on donne aux touristes qui viennent se balader le soir, franchement,…".
"La police est absente du piétonnier le soir!"
Zeki, lui, semble résigné. "Après six heures, il n'y a plus aucun flic, déplore-t-il. Ils sont là le matin, pour mettre des prunes aux voitures, mais le soir, pour faire régner l'ordre, il n'y a plus personne". "Dans la mesure où la police n'est pas suffisamment présente, on a laissé le champ libre au début et de mauvaises habitudes ont été prises", renchérit Marie-Anne Swartenbroekx de la plateforme Pentagone.
"Il y a une présence policière certaine sur le piétonnier, rétorque le cabinet. Mais il importe d’avoir à l’esprit que cette zone est grande, que des policiers travaillent également en civil et qu'il y a une augmentation des arrestations en flagrant délit, ce qui prouve la présence policière en ces lieux (…) Une réflexion est actuellement à l’étude afin non seulement d’accroître la visibilité policière sur le piétonnier, mais également afin de la renforcer la nuit".
"Pas un problème d'effectif, mais d'organisation"
Mais que pense la police des dires de Vanessa? Les policiers lui auraient tout de même confié être en sous-effectif… Selon Vincent Gilles, président national du Syndicat Libre de la Fonction Publique – Police, le problème n'est pas le nombre de policiers à Bruxelles, mais bien le fonctionnement de la police. En effet, Vincent Gilles dénonce le fait que les cadres moyens (les officiers de police, ndlr) n'aient pas le droit de sortir de leurs bureaux à Bruxelles. "Partout ailleurs en Belgique, les cadres moyens sont souvent le 2e homme dans les équipes. Mais ici, à Bruxelles, les équipes doivent tourner avec des cadres de base (les agents de police, ndlr) et les cadres moyens doivent rester en réserve. Ils restent donc dans les bâtiments". Et pourtant, les rues de Bruxelles auraient bien besoin de leur présence sur le terrain.
Pour Vincent Gilles, un fonctionnement différent aurait tout son sens. "Si les cadres moyens faisaient partie des patrouilles, ils pourraient, en tant que policier judiciaire, agir en cette qualité-là sur le terrain (procéder à des arrestations par exemple, ndlr). Plutôt que d'être dans un bureau, ils pourraient utilement prendre la place du passager dans la patrouilleuse".
Vanessa, elle, espère se faire entendre par les autorités bruxelloises. Elle ne veut plus vivre dans la peur, ni voir ses clients entrer dans son commerce l'air terrifié. "Face à une bande d'individus, on ne peut pas rivaliser".
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