Le centre-ville de La Louvière s'apprête à tourner une page. Les anciennes faïenceries Royal Boch vont bientôt céder leur place à La Strada, un futur quartier partagé entre nouveaux logements et un centre commercial de dernière génération. Mais pour certains riverains des futurs bâtiments, c'est la colère. En lieu et place d'une vue dégagée (certes sur un chancre industriel, mais dégagée), ils auront sous leurs fenêtres un mur de 12 mètres de haut. Les habitants sont déterminés à faire "tomber" ce mur, mais le promoteur a déjà revu sa copie une fois et la Ville espère débuter les travaux début 2017. Voici l'histoire du mur de la discorde de La Louvière.
La Louvière veut faire peau neuve. Depuis la faillite en 2011 de la célèbre faïencerie Royal Boch, située en plein cœur de la ville, celle-ci veut tirer un trait sur ce passé industriel et ramener habitants et clients au centre-ville. Pour ce faire, la commune a fait sa priorité de la revalorisation du site, qui n’est plus qu’une friche industrielle de 16 ha.
Le père de la Médiacité intéressé
Elle avait donc lancé un appel d’offre auquel le promoteur Wilhelm & Co, à qui l’on doit par exemple la Médiacité à Liège ou encore l’esplanade de Louvain-la-Neuve, a répondu. Son projet ? Un centre commercial appelé La Strada, entouré de nouveaux logements, d’espaces publics comme un parc, de bureaux, … Un véritable quartier tout entier, flambant neuf. Le projet séduit les dirigeants louviérois et en juin 2013, Wilhelm & Co remet sa demande de permis unique à la Ville de La Louvière. Mais c’est la douche froide, tant pour les responsables communaux que les riverains : (presque) plus rien ne correspond au projet initial.
2013 : une première demande décevante
Celui-ci prévoyait une rue centrale commerçante, la fameuse "strada", et des rues adjacentes couvertes, le tout ouvert sur les quartiers alentours et où commerces de grande taille et logements se marieraient. Le résultat fut décevant: une pure galerie commerciale, totalement coupée du centre-ville, où la strada avait disparu et où les matériaux prévus allaient dénoter avec le reste du quartier. Les surfaces commerciales, plus petites que prévues, allaient entrer en concurrence avec les magasins du centre-ville. Le projet allait également nécessiter de creuser plus profond que les surfaces dépolluées sur le site et n’apportait aucune solution au niveau de la mobilité, tant via les parkings prévus que via les transports en commun.
Un mur de 13 mètres de haut à 2 mètres de leurs fenêtres: inacceptable
Mais le pire à avaler, c’était pour les riverains de la rue Kéramis. Des immeubles à appartement relativement récents situés dans la rue, communément appelés les immeubles Baio, sont en effet directement concernés par le projet, puisque le centre commercial devait prendre place à la gauche et derrière leurs bâtiments. Aujourd’hui, les habitants situés à l’arrière de ceux-ci ont leurs terrasses qui donnent sur le terrain vague. Ils ont donc luminosité et vue dégagée, à défaut de la beauté du paysage. Le projet initial aurait vu un nouveau quartier avec des rues couvertes arriver. Mais ce qui leur a été soumis était impossible à accepter : un véritable mur mesurant 13 mètres de haut, donc à peine moins haut que leur immeuble, allait être construit à seulement 2 mètres de leurs fenêtres ! Adieu la luminosité, adieu la vue, bonjour le sentiment d’emprisonnement.
Riverains, citoyens et commune rejettent le projet
Les propriétaires et locataires des 56 appartements des immeubles concernés ont donc dit non au projet lors de l’enquête publique qui a eu lieu à l’été 2013. Et ils ne sont pas les seuls. La commission consultative communale d'aménagement du territoire et de mobilité (CCATM) de La Louvière (formée par des citoyens) a également rejeté le projet. Enfin, c’est le Collège communal qui a remis un avis négatif à la Région wallonne concernant la demande de permis de Wilhelm & Co. Le projet devait donc être revu par les promoteurs, pour le plus grand espoir des riverains.
Aujourd’hui: un nouveau projet qui n’apporte pas grand-chose de mieux pour les habitants
Cette histoire nous amène aujourd’hui, deux ans plus tard, chez Eliane. Cette dame habite les immeubles Baio et était déjà remontée contre la première demande de permis. Depuis qu’elle a appris qu’une nouvelle demande avait été introduite par Wilhelm & Co il y a bientôt un an, elle se sent tenue à l’écart des négociations. "Nous nous battons depuis 2 ans, mais n'avons aucune remise en question, ni du promoteur, ni de la commune", nous a-t-elle dénoncé via notre page Alertez-nous. Les habitants ont pris connaissance des changements apportés et ne se sentent pas entendus. Le mur de 13 mètres à 2 mètres de leurs fenêtres va devenir "un mur de 12m de haut qui, pour certains, arriverait toujours à 2m50", se plaint Eliane.
Photo de Wilhelm & Co, sur leur site internet présentant le projet La Strada
La commune négocie toujours avec Wilhelm & Co
Du côté de la commune, on tient tout d’abord à préciser que "leur demande de permis unique est toujours en cours de traitement". "Wilhelm & Co doit introduire des plans modificatifs", explique Jacques Gobert, le bourgmestre de La Louvière. Rien n’est donc scellé à l’heure d’écrire ces lignes. Mais le nouveau projet plait. "La Ville pas encore rendu un avis définitif, mais globalement nous voyons la proposition d'un œil beaucoup plus favorable" que la première mouture rejetée il y a 2 ans, confie M. Gobert.
"Plus de lumière et de la végétation", mais le mur est toujours là
Avec quelles avancées pour Eliane et ses voisins concernant le fameux mur ? "Il faut préciser que même dans le projet initial rejeté, le mur de 13 mètres était dans la légalité. Mais on a eu une levée de bouclier des riverains, je pense à juste titre", relate Jean Godin, l’échevin de l’urbanisme de La Louvière. "Les promoteurs ont donc revu leur projet et maintenant, ce qui est sur la table, c’est un mur en escalier plus éloigné. L’arrivée de lumière sera ainsi beaucoup plus importante que dans le projet initial. On leur a également demandé de revoir la façade arrière. Il s’agit d’une amélioration visuelle. On a insisté sur le végétal, la finition et les couleurs. Ces remarques ont été acceptées et introduites dans le nouveau projet déposé il y a quasiment un an". Le mur est donc toujours bien présent, même s’il a changé : "Il se constituera d’abord d’un premier mur droit de 8 mètres de haut, au raz du parking existant. Ensuite, il y aura un recul de l'ordre de 2 mètres puis le mur repartira pour encore 4 mètres de haut. Il fera donc 12 mètres en tout." Quant à son éloignement par rapport à la façade des habitants, il sera variable, puisque le mur ne sera pas parallèle au building mais formera un angle. Il sera donc à 18 mètres des habitations au plus loin, dans l’angle, mais beaucoup plus proche au niveau de la droite du bâtiment rue Kéramis.
Les habitants auraient souhaité un parc derrière chez eux…
Cette amélioration par rapport au projet d’il y a 2 ans n’est clairement pas suffisante pour les habitants des immeubles Baio. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est pourquoi on n’en revient pas au projet d’origine, où ce mur n’existait pas avec des espaces plus ouverts. "Ce projet pouvait tout aussi bien se faire en plaçant le centre commercial du côté gare et entre celui-ci et les blocs d’appartement, faire un parc arboré débouchant sur la zone commerciale, ce qui ne peut être qu’un plus pour la ville et ceux qui ont choisi d’y vivre. Faire un parc comme prévu sur le plan qui est étiré tout le long d’une route à grand trafic n’a aucun sens", avait écrit l’un des habitants à la commune.
Une demande impossible: le futur centre commercial sera bien là
Mais cela nécessiterait de transformer le projet total de fond en comble pour le promoteur, alors que la commune a déjà fait sa part des travaux. "Venir demander qu’un parc se situe derrière leurs habitations" est irréaliste, tranche le bourgmestre. "Toutes les routes ont déjà été faites en fonction du plan d'aménagement." Le centre commercial n’est donc plus déplaçable sur les plans, puisque "les voieries et tous espaces publics comme le parc sont terminés. Certains logements ont déjà été construits, ainsi que la cité administrative et le nouveau musée de la céramique. Donc nous, en termes publics, nos investissements sont terminés."
Et maintenant ?
Un mur, celui du centre commercial, verra donc bien le jour. Et les riverains seront tenus au courant en temps et en heure, même s’ils se sentent laissés de côté par la commune depuis un an. "C’est normal que les riverains de la rue Kéramis n’aient pas encore d'informations puisque le dossier est toujours en cours d'instruction", explique M. Gobert. "Il n’y a donc pas encore eu d'enquête publique, puisqu’elle n'aura lieu qu'après que les plans modificatif nous aient été remis et quand la version présentée nous paraitra complète."
In fine, ce n’est pas La Louvière qui donnera le feu vert au projet
Eliane et ses 55 voisins pourront alors à nouveau rendre un avis négatif. De toute façon, le mot de la fin, ce n’est pas La Louvière qui l’aura. "Ce n’est pas la Ville qui délivre le permis, c’est le fonctionnaire de l'urbanisme" de la Région wallonne, rappelle M. Gobert. Il prendra en considération l’avis positif que rendra la Ville, et ceux des riverains et de la CCATM. "Lui doit intégrer l'ensemble des avis et en faire la synthèse. Parfois, il prendra en compte la totalité d’un avis, parfois pas. C’est à son libre arbitre. C’est à lui à intégrer ça dans une position globale."
Leurs appartements ne perdront pas de leur valeur, au contraire
Si ça passe, certains voisins d’Eliane craignent une dévaluation de leur bien. "C’est légitime que les riverains expriment leurs griefs. Mais quand ils ont acquis, il y avait déjà de très hauts murs à cet endroit avec l’entreprise Boch", tient à rappeler Jacques Gobert. "C’est aujourd’hui une ruine industrielle (voir photo ci-contre). Donc il y aura quand même une amélioration. On assainit un chancre industriel derrière leur habitation, ce qui leur apportait une moins-value." De ce point de vue, il est clair que la proximité immédiate du nouveau pôle d’attraction de la ville ne peut que faire prendre de la valeur à leurs habitations, malgré le mur.
"J’espère que les travaux pourront commencer début 2017"
"Dans un projet pareil, il est impossible que 100% des personnes soient satisfaites. Mais il y a une notion d'intérêt général aussi à intégrer", estime enfin le bourgmestre, qui espère voir le projet aboutir. D’autant que les pouvoirs publics wallons semblent maintenant les soutenir. Mercredi 8 juillet, la Société Régionale d’Investissement de Wallonie a débloqué 5 millions d’euros pour financer la poursuite du développement du projet, entrant ainsi dans le capital de Wilhelm & Co. "C’est un signe très positif et de confiance quant au projet et à la capacité de la Ville à porter un tel projet d’envergure. Nous allons donc nous atteler à très vite en terminer avec le permis et j’espère que les travaux pourront commencer début 2017. Ils sont estimés à 2 ans."
Les riverains pourront toujours porter leur combat à un autre niveau
Des délais qui ne tiennent pas compte d’éventuels recours d’Eliane et ses voisins. Car si le fonctionnaire de l’urbanisme de la Région wallonne rejette leur probable avis négatif et délivre le permis unique demandé par Wilhelm & Co, ils auront encore des recours possibles, devant le gouvernement wallon puis devant le Conseil d’Etat. De quoi retarder une nouvelle fois la rénovation du centre-ville de La Louvière.
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