Les imposantes batteries des voitures électriques coûtent cher et sont remplies de métaux précieux. C'est parce qu'elles ont de la valeur que des entreprises spécialisées ont mis au point des procédés pour les récupérer. On en a discuté avec le président de la SNAM, une filiale française du groupe chimique belge Floridienne. Et on a appris plein de choses.
La voiture électrique n'a pas fini de faire parler d'elle. Plébiscitée par certains comme étant LA solution face à la pollution émise par les moteurs à combustion, elle est décriée par les autres, ceux qui se demandent comment on pourra fournir l'électricité nécessaire à des millions de voitures en Belgique, alors qu'on veut mettre un terme au nucléaire et que chaque hiver, un black-out énergétique est envisagé.
Roland a contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous pour évoquer une autre incertitude: les batteries. Relativement chères à produire, leur principe chimique (réaction avec l'élément Lithium) entraîne une lente mais certaine détérioration des performances. Se pose alors la question de leur recyclage et de la présence de métaux lourds: on en revient à nos problèmes environnementaux.
"Je me suis rendu chez un concessionnaire pour l’achat d’une voiture électrique. Je dois payer pour la location de la batterie. Mais que fait-on des batteries ? Sont-elles recyclables ? Je ne suis pas convaincu à 100% de la voiture électrique", nous a écrit Roland, 45 ans, de la région de Lasne dans le Brabant wallon.
Il voudrait franchir le cap et oublier les moteurs thermiques, mais il y a trop d'incertitudes selon lui. Sa plus grande crainte est que "les batteries se retrouvent en train de pourrir dans la nature en Afrique car on ne les recycle pas". Roland fait référence au Ghana, notamment, où atterrissait une partie des déchets électroniques non recyclés (voir la très bonne enquête du Spiegel).
On a donc investigué au niveau belge: comment fonctionnent les voitures électriques actuellement ? Les batteries sont-elles recyclées, et si oui, comment ?
Un des nombreux modèles de voitures 100% électriques disponibles en Belgique (D.R.)
Louer ou acheter la batterie de sa voiture électrique ?
Avant de parler de la filière du recyclage des batteries de voitures électriques, il est intéressant de parler de la stratégie des constructeurs.
La plupart d'entre eux ont opté pour une vente classique de la voiture électrique. C'est la raison pour laquelle ces véhicules sont encore assez chers à l'heure actuelle: les batteries embarquées ont un coût important. Même les modèles les plus abordables (Citroën C-Zéro, Smart EQ), affichant une autonomie limitée (une centaine de kilomètres), nécessitent encore un investissement de plus de 20.000€.
Renault est pour l'instant le seul constructeur à proposer par défaut la location de la batterie. Sa Zoé affichant 300 km d'autonomie (ce qui permet de la faire sortir de la ville…) se négocie avec conditions à un peu plus de 20.000€ également. Mais il faut ajouter une mensualité de minimum 69€ pour la batterie (7.500 km / an maximum). Comptez 119€ par mois pour un kilométrage illimité. Avantage: dès que la batterie est défectueuse ou qu'elle ne garantit plus 75% de ses capacités d'origine, le propriétaire peut aller la remplacer gratuitement dans son garage Renault le plus proche.
Pourquoi un tel choix ? "Nous avions proposé la formule Buy-Lease (location de batterie, au lieu de Buy-Buy, achat de la batterie, NDLR) au lancement du véhicule électrique pour enlever au moins un frein pour le consommateur pour qui il s’agissait d’une nouvelle technologie. De plus, cette formule offre une garantie à vie. Le risque est donc entièrement chez le constructeur", nous a expliqué Karl Schuybroek, directeur de la communication de Renault Belgique.
Mais finalement, peu importe l'approche: achetées ou louées, les batteries s'épuisent, et vient alors la question de son recyclage.
Qu'est-ce qui caractérise une batterie de voiture électrique ?
Depuis quelques années, heureusement, la valorisation des déchets est devenue une activité à part entière. Pour des raisons écologiques mais surtout parce que c'est un marché qui peut être très rentable. On vous a parlé il y a quelques années du recyclage de nos smartphones, notamment par la célèbre entreprise chimique belge Umicore.
Dans le cas des batteries de voitures électriques, c'est vers un concurrent qu'on s'est tourné, belge lui aussi: Floridienne Group (basée à Waterloo). Ou plus particulièrement une de ses filiales basée en France: la SNAM, acronyme de Société Nouvelle d'Affinage des Métaux (fondée à Lyon en 1977, acquise par la Floridienne en 1996).
On s'en doutait: "Les batteries de voiture sont bel et bien recyclées", nous a confirmé Eric Nottez, président de la SNAM. "En réalité, la filière existe depuis longtemps, on a signé un premier contrat avec Toyota en 2010, pour leurs véhicules hybrides/plug-in".
Les batteries de voiture, par rapport aux autres types de batteries traitées par la SNAM, ont les caractéristiques suivantes: "Elles sont grosses et industrielles, elles ont un fort voltage et une forte puissance".
Les constructeurs utilisent "des chimies différentes", mais globalement "on retrouve beaucoup de métaux", qui se recyclent. Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas beaucoup de lithium. "C'est environ 1,5% de la composition de la batterie, mais le lithium est essentiel car il joue le rôle de catalyseur de la réaction électrique". Il y a à côté de cela "des métaux non-ferreux comme le cuivre, le nickel, le cobalt, le manganèse et l'aluminium", ce dernier étant utilisé pour le câblage et les contacteurs.
Quant à la durée de vie d'une batterie de voiture électrique, la question est complexe, et on manque de recul. "C'est un marché récent, et les constructeurs sont toujours prudents: ils parlent d'une durée de vie de 8 à 10 ans. Mais d'après nos propres estimations, basées sur notre expérience et notre expertise, toutes marques confondues, on arrive à une durée de vie moyenne comprise entre 12 et 14 ans".
Au niveau des chiffres, la SNAM, N.1 européen et présente dans 30 pays, a récupéré 500 tonnes de batteries en Europe en 2018. "C'est 3.000 batteries de voitures hybrides (poids de la batterie: 50 kg) et 1.000 batteries de voitures électriques (entre 300 et 500 kg)". Pour l'instant, ces batteries proviennent majoritairement de voitures accidentées, car la plupart des voitures 100% électriques sont récentes.
Un des types de batterie existant
"Entre 70 et 85%" d'une batterie de voiture électrique est recyclé: et le reste ?
Les batteries de voiture électrique sont donc recyclées, et c'est une bonne nouvelle. Mais le sont-elles correctement ?
"Nous sommes N.1 sur la filière en Europe. Les constructeurs considèrent que ce que nous faisons est bon… On atteint pour l'instant une récupérabilité comprise entre 70 et 85% de l'ensemble d'une batterie de voiture électrique", poursuit Eric Nottez.
Comme toujours dans le business du recyclage, ce qui a de la valeur est recyclé. C'est-à-dire les métaux. "Nos usines utilisent des procédés chimiques, mécaniques et thermiques" pour extraire des batteries ces métaux précieux, "récupérés à 99%", qui ressortent "sous la forme de lingot, d'alliage".
Ces matières premières "repartent vers l'industrie": il y a une "boucle indirecte" par rapport à aux constructeurs automobiles (encore assez présent en Europe). "Les constructeurs ne se fournissent pas directement chez nous, mais leurs intermédiaires le font sans doute".
Et les 15 à 30% restants ? "C'est tout ce qui n'a pas assez de valeur"par rapport au coût d'un recyclage. "On ne recycle donc pas pour l'instant les carbones, les graphites, l'eau et les plastiques qui sont très résistants, remplis d'additifs".
Le recyclage est un marché dynamique, tout comme les batteries. Celles-ci sont amenées à évoluer, et des opportunités de récupération (rentables…) d'éléments de sa composition vont forcément voir le jour. Les chiffres qu'on vient de citer ne sont donc valable que pour 2018…
Comment est organisée la filière ? Qui paie: le constructeur ou le recycleur ?
La filière mise en place par la SNAM est organisée en partenariat avec les fabricants de voitures électriques, en augmentation constante (le succès de Tesla a inspiré pratiquement tous les grands groupes automobiles).
"Le schéma classique, c'est que tout part d'un accord avec le constructeur. On définit une zone géographique, un périmètre pour la récupération des batteries".
Ensuite, la SNAM gère tout elle-même. "On va chercher les batteries sur demande, et on a des entrepôts partout en Europe". Quand il y en a assez, "des camions acheminent ces batteries vers nos usines de démantèlement et de traitement".
La SNAM a deux usines de reconditionnement et de préparation, et deux usines de traitement. "Elles sont toutes situées en France", patrie originelle de la SNAM.
Autre question brûlante: qui paie qui dans cette filière ? En réalité, tout dépend du cours, de la valeur des métaux précieux. S'ils valent plus que le coût du recyclage, la SNAM peut payer pour obtenir des batteries dont elle récupère et revend le contenu décomposé. Des variables qui, comme le pétrole, sont liées à la disponibilité, à l'extraction et à d'autres paramètres géopolitiques.
"Le constructeur va essayer de valoriser les batteries, mais de notre côté il y a un travail, qui a un coût", explique Eric Nottez. Dès lors, "selon les périodes et le contenu des batteries, ça peut être nous qui payons pour récupérer des batteries, ou les constructeurs pour s'en débarrasser".
Traitement par pyrolise (SNAM)
Cheminée équipée d'un filtre (SNAM)
Trois grandes tendances pour l'avenir
C'est presque un scoop: le président de la SNAM était heureux de nous annoncer que "depuis 2019", il avait un accord avec Tesla, référence haut-de-gamme des voitures électriques suréquipées de batteries, pour s'occuper de leur futur recyclage (a priori, il faudra attendre quelques années avant que de grandes quantités arrivent).
L'avenir s'annonce donc radieux pour la filière du recyclage de batteries, et qui plus est de batteries de voiture 100% électrique. Eric Nottez voit trois grandes tendances pour les prochaines années.
"Il ne faut pas craindre de manquer de ressources, vu qu'on récupère 99% des métaux précieux". Mais idéalement, il faut que "les capacités de recyclages augmentent parallèlement au succès des voitures électriques, et il vaut mieux que les usines soient construites avant que les batteries arrivent, donc elles pourraient être un peu vide au début…".
Deuxième enjeu: "Il faut éviter l'emballement. Pour l'instant, les défendeurs de la voiture électrique sont trop radicaux par rapport aux voitures thermiques. Il ne faut pas tout mettre à la poubelle, car derrière, il y a des usines et des dizaines de milliers d'emplois".
Enfin, il "faut attendre d'avoir suffisamment d'énergie renouvelable" avant une transition massive vers la voiture électrique. Personne n'a envie de rouler au nucléaire, en effet, or c'est encore une source importante d'approvisionnement en électricité dans le monde occidental. "Il faut donc développer parallèlement ces énergies renouvelables, trouver le bon mix énergétique, l'équilibre".
L'enjeu principal de la prochaine décennie est donc "d'accompagner la courbe de croissance en douceur", d'éviter la rupture brutale entre deux modes de propulsion des véhicules…
Les constructeurs s'impliquent
Nous ne sommes qu'à l'aube de la voiture électrique, et donc des batteries de voitures électriques. Les plus grands constructeurs automobiles, soucieux de soigner leur image d'une marque respectant l'environnement, entendent bien s'impliquer dans leur mise au point et leur recyclage.
Depuis 2011, par exemple, Renault et Euro Dieuze Industrie (filiale de Veolia) ont entamé une coopération scientifique et commerciale pour le traitement et la valorisation des batteries usagées de véhicules électriques. Des installations leur sont dédiées, en France notamment.
En Allemagne, le groupe Volkswagen vient d'annoncer qu'il allait équiper son site de Salzgiter, près de Brunswick, d'une installation pilote pour le recyclage des batteries. L'idée pour le plus grand groupe automobile mondial est "réintroduire les matières premières dans la chaîne de fabrication", vu qu'il construit ses propres batteries. La future famille de voitures électriques du groupe VW, baptisée ID, débarquera à la fin de l'année 2019. L'Allemand compte bien tout faire en interne pour revaloriser la quantité progressive de batterie qu'il va recevoir, sachant que "le retour de plus grandes quantités de batteries n’est pas attendu avant la fin des années 2020".
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