Un militaire nous a présenté ses revendications contre la réforme de la pension des militaires. De son côté, le syndicat national des militaires estime que le principal danger de la réforme réside dans le vieillissement de l'armée (et les augmentations de coût qui vont en résulter) qu'elle risque de provoquer.
Le 26 octobre dernier, le ministre des Pensions, Daniel Bacquelaine a rencontré les représentants syndicaux des militaires pour entamer le dialogue concernant la réforme du régime spécial de pension publique dont bénéficient, plus pour très longtemps, les militaires (et les membres du personnel roulant de la SNCB). L'âge de mise à la retraite des militaires, actuellement établi à 56 ans, doit en effet progressivement être remonté à 63 ans. De plus, la pension sera calculée sur les 10 dernières années au lieu des 5 dernières jusqu'à présent. À la base d'une pétition partagée sur Facebook, Jean-Marc Depauw, 50 ans, entré à l'armée en 1983, nous a récemment contacté via le bouton orange Alertez-nous, pour manifester son opposition à ces changements, avant de le faire dans la rue ce mardi. Le nouveau mode de calcul de la pension en particulier lui reste en travers de la gorge."Un collègue pensionné en fin d’année a fait son calcul avec le système actuel (sur cinq ans), et il touchera 1.658 euros. Avec le nouveau calcul, sur les dix dernières, il aurait touché 1.349 euros", prétend-il.
La pension, moins avantageuse, ne compensera plus un salaire jugé trop bas
Pour Jean-Marc, le principal problème réside dans le fait que la pension des militaires va devenir moins avantageuse alors que la rémunération ne va pas évoluer. Or, selon lui, c'est justement le caractère avantageux de la retraite du militaire qui lui faisait tolérer un salaire insatisfaisant. "Avant la nouvelle mesure, un militaire était pensionné à 56 ans, et pour disposer d’une pension complète, il devait prester 37,5 ans (à présent 45 ans) minimum dans l'armée avec un salaire moins grand que les équivalents dans la fonction publique. Si ce dernier n'augmente pas et qu'on nous oblige à travailler jusqu'à 63 ans, on sera donc pénalisé", réfléchit-il.
Patrick Descy, le secrétaire permanent du syndicat CGSP Militaire, confirme cette pension généreuse qui venait compenser jusqu'ici un salaire jugé inférieur à ce qui prévaut ailleurs dans la Fonction publique: "Lorsqu’on s’engage à l’armée, on gagne moins que dans le civil ou dans le privé mais, à l’âge de la pension, celle-ci sera plus intéressante. Pendant toute leur carrière, les militaires prenaient leur mal en patience en se disant qu’en gagnant moins, ils auraient une bonne pension", observe-t-il avant de concéder que "maintenant la conjoncture a évolué, tout le monde doit travailler plus longtemps y compris les militaires, et il n’y a pas de raison de faire différemment."
Jean-Marc qui pratique désormais un métier "moins physique" au sein de l'armée craint d'être doublement pénalisé
Si comme Patrick Descy, Jean-Marc ne remet pas véritablement en cause le fait de repousser la pension de militaire à 63 ans pour "contribuer comme tout le monde au futur", il revendique comme d'autres militaires, trois ajustements: "Il faudrait aligner les salaires sur ceux de la fonction publique car pour le moment, en prenant l'exemple de la police, au même grade équivalent, il y a une différence pour la même ancienneté. Ensuite, il faut tenir compte de la pénibilité du travail."
La reconnaissance de la pénibilité du travail des militaires fait justement l'objet des négociations actuelles entre Etat et syndicats. "Il va falloir appliquer des degrés de pénibilité dans les fonctions occupées par les militaires. Il est évident qu’on ne peut pas demander au para-commando, qui a 50 ans, de faire encore 13 ans dans le même métier", argumente le secrétaire permanent du syndicat CGSP Militaire. "Il va falloir trouver des aménagements pour que ça devienne supportable", conclut-il.
Le ministre des pensions assure que la réforme du régime spécial des militaires est indissociable de la question de la pénibilité. La suppression du régime spécial des militaires n’interviendra pas, en tout état de cause, avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions prenant en compte la pénibilité dans la détermination des droits de pension. Sur quels critères établira-t-on la pénibilité? "Ces choix seront faits suivant quatre critères: l'impact physique du métier, l'organisation particulière du travail (shifts, travail de nuit,…), la sécurité dans la profession (le travailleur est-il potentiellement en danger ou non?) et pour finir la charge émotionnelle sera prise en compte", énumère Koen Peumans, le porte-parole du ministre.
Mais l'ensemble du personnel de la Défense pourrait ne pas rentrer dans ces critères. C'est en tout cas ce que craint Jean-Marc. Auparavant soldat d’assaut dans une unité combattante de Spa, il est passé maitre-chien en 2002, dans un système de garde professionnel et "moins physique". "Je ne suis plus dans une unité combattante donc, on va peut-être me dire que je suis dans une fonction non pénible et je n'aurai pas les mêmes avantages que certains", pense-t-il. "Je serai donc le 15 novembre dans la rue, dès 11h30 devant la Gare du Nord, pour manifester contre cette réforme", annonce-t-il.
La réforme menace de faire vieillir l'armée
Le report de l’âge de la pension à 63 ans va impliquer des changements en termes de carrière selon le responsable syndical. "On imagine bien qu’à 63 ans, l’armée ne va pas demander à quelqu’un de sauter en parachute ou de se pendre en dessous d’un câble d’hélico pour faire un sauvetage en mer. Mais une secrétaire dactylo qui travaille à Evere ou un magasinier logisticien qui travaille depuis 30 ans à Marche-en-Famenne devraient pouvoir en principe travailler un peu plus longtemps comme tous les citoyens à qui on a demandé de faire un effort en matière de pension."
Et au-delà de ces adaptations de l'armée à la nouvelle donne en matière de retraite, une autre question, cruciale, surgit: le risque de vieillissement de notre armée. "Comment faire pour fonctionner avec une armée où, il y aura principalement des vieillards et non des jeunes militaires aptes à partir au combat ou en mission à l’étranger?", s’interroge Patrick Descy qui entrevoit aussi un problème de coût: "En gardant des militaires âgés, en fin de carrière et avec un salaire élevé, on empêche les jeunes de rentrer. C’est le grand débat selon moi. 68% du budget de la défense sert uniquement à payer le personnel et à côté des frais de fonctionnement, on n'a plus d'argent pour remettre en état un chauffage central, par exemple."
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