Tags, coups dans les murs, dégradations diverses, excréments de chats, etc.: en un an et demi, les locataires de Steve ont ruiné la maison qu'il avait rénovée. Ils ont fini par être expulsés et condamnés à des indemnités par le juge de paix. Mais les frais de justice, d'expertise et de réparation sont importants et les ex-locataires seraient endettés et insolvables...
"J'ai eu le pire que je pouvais avoir", soupire Steve après nous avoir raconté son histoire malheureuse, celle d'un propriétaire à Lessines (Hainaut) dont la maison "qu'il venait juste de rénover de A à Z" a été dégradée et transformée en "une véritable décharge avec des immondices à perte de vue" par des locataires pour lesquels il lui aura fallu près d'une demi-année pour les expulser. Malgré une décision du juge de paix en sa faveur, il craint de ne jamais récupérer l'entièreté de l'argent englouti dans les travaux de réparation et les frais de justice. Les ex-locataires, une famille de quatre enfants, seraient en effet endettés et insolvables. De cette expérience longue et pénible, Steve conservera un souvenir amer teinté d'un sentiment d'injustice. "Je voudrais dénoncer le manque d'aide aux propriétaires en difficulté face à ce genre de personnes, et aussi l'injustice dont nous faisons preuve", nous écrit-il via notre page Alertez-nous. Le CPAS de Flobecq qui avait avancé la garantie locative de la famille (en savoir plus sur la constitution d'une garantie locative via la CPAS), n'a, lui non plus, pas récupéré son argent. Un courrier a été envoyé mais est resté sans réponse. "Ils ont désormais été prévenus que s'ils ne répondaient pas, une procédure judiciaire serait enclenchée" nous indique le centre d'aide sociale.
Des candidats à la location "propres sur eux"
Mais revenons deux ans plus tôt, lorsque tout a débuté, en novembre 2012. Un couple se présente dans la maison que Steve a mise en location à Lessines. C'est la seconde fois qu'il loue cette bâtisse remise à neuf. Les candidats ne lui inspirent pas de méfiance. "Ils étaient propres sur eux", se rappelle-t-il, ajoutant aujourd'hui qu'"ils avaient fait sûrement un effort pour paraître bien". L'homme et la femme, d'une trentaine d'année, l'informent que la garantie locative sera payée par le CPAS de Flobecq. Ce n'est en effet pas le CPAS de la commune où s'installent des personnes qui avance la garantie mais bien celui de la commune qu'elles quittent et où elles sont toujours domiciliées. Nous avons joint le CPAS de Flobecq qui confirme avoir répondu positivement à la demande d'aide de cette famille de 4 enfants.
Un lourd passif
Beaucoup plus tard, Steve apprendra que la famille aurait déménagé… 23 fois et se trouvait criblée de dettes quand elle a emménagé chez lui. "Nous n'avons aucun pouvoir afin d'être informé de choses pareilles pourtant importantes avant de faire confiance à un locataire", déplore-t-il. Le CPAS aurait-il pu savoir? Pour chaque demande d'aide, le CPAS réalise une enquête sociale préalable. C'est d'ailleurs dans le cadre de celle-ci qu'une assistance sociale a contacté Steve afin de vérifier qu'effectivement il acceptait bien les locataires qui introduisaient une demande d'aide pour une garantie locative. Steve avait confirmé sans émettre de réserves. L'enquête sociale est succincte et se limite aux ressources financières de la famille (monsieur travaille, madame est au chômage). Sa situation n'est pas plus anormale que celle d'autres familles dans le besoin qui viennent frapper à la porte du CPAS. L'enquête ne met pas en avant l'impressionnante succession de déménagements ou encore les dettes, l'un allant sans doute de pair avec l'autre. De plus, au contraire d'autres bénéficiaires d'aide, cette famille est inconnue du CPAS de Flobecq. "On était à 1000 lieues de savoir" nous confie une travailleuse du centre d'aide.
Une situation d'urgence
Mais, de toute façon, il y avait urgence. Novembre touchait à sa fin, l'hiver était là et une famille de quatre enfants, sous la menace de se retrouver très bientôt à la rue, demandait une aide. Elle avait trouvé un propriétaire qui acceptait de lui louer son bien. Ne restait que la garantie locative qu'elle n'avait pas les moyens de sortir elle-même. Imaginons que, pour une raison quelconque, le CPAS ait décidé de creuser le passé de ces locataires et aient pris connaissance de leurs dettes. Qu'aurait-il fait ? Prendre le risque de laisser cette famille dehors, avec quatre enfants ? La situation n'est jamais simple et souvent urgente pour les travailleurs sociaux.
Le conseil du CPAS approuve la demande de garantie locative. L'argent est donc avancé. Il est prévu que les locataires rembourseront peu à peu (on parle de "reconstitution de la garantie"). La famille s'installe. Tout le monde est content: le propriétaire a loué, la famille a un toit pour l'hiver, le CPAS a épargné une situation précaire à une des nombreuses familles en difficulté.
Première visite effrayante
Mais un an plus tard lorsque Steve effectue sa première visite, il retrouve une maison, sa maison, dans un état déplorable. "Les murs avaient été tagués avec des bombes de peinture orange. Ils avaient essayé de repeindre dessus", décrit Steve dont "les chaussures collaient au sol" tant il faisait sale. À la fin de la visite, il demande aux locataires de remettre en ordre l'habitat au plus vite. Il leur envoie un courrier recommandé dans lequel il répète ce qu'ils ont convenu oralement: ils ont un mois pour remettre la maison dans un état proche de celui dans lequel elle leur avait été remise un an auparavant. Un mois plus tard, Steve se représente donc chez lui pour vérifier l'évolution. Mais il ne peut rien contrôler du tout: on ne lui ouvre pas la porte.
La justice de paix ordonne l'expulsion
Steve téléphone des dizaines de fois. On ne décroche pas. Il finit par porter plainte auprès de la police qui le renvoie vers le juge de paix. Celui-ci tente d'abord une conciliation. Le 14 janvier de cette année, il demande aux locataires de rafraîchir la maison et les prévient des risques qu'ils encourent si ce n'est pas fait. La situation ne progresse cependant pas. Quelques mois plus tard, en plus d'abîmer la maison, les locataires ne paient plus le loyer. Cette fois, Steve dispose d'un motif plus solide pour introduire une demande d'expulsion. Une procédure judiciaire est engagée. Elle débouche le 25 juin sur une audience au prétoire de la Justice de paix du canton d'Ath-Lessines. Les locataires ne sont pas venus. Considérant le défaut de paiement, le juge condamne les locataires à quitter le bien dans le mois de la signification du jugement. S'ils ne s'exécutent pas, il autorise Steve à faire appel à un huissier pour les expulser eux et leurs mobiliers. Il les condamne également à 1400 euros à titre de loyers arriérés, ainsi que 1400 euros d'indemnité de relocation.
Deux nouveaux mois d'attente
Deux mois s'écouleront encore avant le départ des locataires. Deux mois au cours desquels ils ne payeront pas le loyer et qui s'ajoutent à deux autres mois précédents qu'ils n'avaient pas payés. À ces loyers impayés s'ajoutent des frais d'expertise des dégâts et puis les frais de réfection qui viendront plus tard. Sans compter les frais de justice. Avec le jugement en sa faveur, Steve récupère rapidement la garantie que lui verse le CPAS qui s'était porté garant. Mais celle-ci ne suffit évidemment pas à couvrir les multiples frais. Les espoirs du propriétaire s'amenuisent encore lorsqu'un huissier lui conseille de ne pas perdre son énergie pour des prunes. "Il connaissait très bien ces gens et m'a conseillé de faire le moins de procédures possibles car je dépenserais mon argent en vain", rapporte Steve. "Sur papier on peut obtenir beaucoup de la justice, mais dans la pratique, s'ils ne sont pas solvables, ça ne sert à rien" estime notre interlocuteur.
Une maison de "l'horreur"
Lorsque ce dernier peut enfin pénétrer dans sa maison, il constate effrayé que son état a empiré depuis sa première visite, huit mois plus tôt. "C'était l'horreur", dit-il. Des centaines de coups défigurent les murs, les châssis et radiateurs sont détériorés. Le désordre et la saleté, notamment de nombreux excréments de chats, sont partout et tels qu'il doit faire appel à une société de nettoyage spécialisée. Steve assure même avoir trouvé dans le lave-vaisselle des… tampons hygiéniques. Quant à leurs sept félins, les locataires ne les ont pas emportés, ils sont restés dans le quartier...
Derrière l'expulsion, souvent le surendettement
Ce genre d'histoires, s'il ne survient pas tous les jours, se produit régulièrement en Wallonie. Une étude est actuellement en cours afin de chiffrer le phénomène, ce qui n'est pas facile puisque les informations sur les expulsions ne sont pas centralisées. Selon l'IWEPS (Institut Wallon de l’Evaluation, de la Prospective et de la Statistique) qui dirige l'étude, le nombre de jugements prononcés sur des affaires de bail de loyer est en augmentation. L’IWEPS a analysé un échantillon de 1009 jugements rendus en 2012 dans 61 justices de paix de Wallonie. Six jugements rendus sur dix autorisent le bailleur à expulser le locataire. Les juges de paix indiquent cependant que le nombre d' d'affaires d'expulsion est relativement stable comparé à l'explosion des dettes de téléphonie, d’hospitalisation ou d’énergie. Il est vrai que les institutions tentent d'éviter les expulsions. Les SLSP (Sociétés de logement de service public, il y en a 64 en Wallonie) soulignent le petit nombre de ménages effectivement expulsés tout autant que les conséquences dramatiques pour ces ménages. Parmi ces conséquences, les CPAS de grandes villes wallonnes évoquent le difficile problème du relogement des personnes expulsées dans les grandes villes et l’éclatement des familles nombreuses après une expulsion. Sans surprise, derrière les expulsions, on trouve fréquemment des situations de surendettement.
Une agence immobilière sociale pour éviter de telles situations dans la région?
Si on peut comprendre aisément la nécessité d'éviter au maximum de se retrouver avec des familles à la rue, il y a la même nécessité d'assurer des garanties aux propriétaires comme Steve. Sans quoi, la méfiance des propriétaires vis-à-vis des gens en situation de précarité continuera de grandir. L'Etat a tout intérêt à atténuer le plus possible les raisons qui poussent les propriétaires à refuser des allocataires du CPAS ou des chômeurs. S'il a fini par obtenir gain de cause, Steve a perdu beaucoup de temps et surtout beaucoup d'argent. Dans le laps de temps où se déployait la procédure judiciaire puis la mise en application de la décision du juge, la maison continuait à se dégrader.
La solution réside peut-être dans les agences immobilières sociales, les AIS. Celles-ci agissent comme intermédiaire entre le propriétaire et le locataire et peuvent intervenir comme médiateur en cas de conflit. Une telle AIS a justement vu le jour cet été pour les localités d'Ath, Lessines et Flobecq. Mais pour Steve, c'est sans doute trop tard. Dégoûté, il nous a dit préféré revendre sa maison.
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