"Puis-je vous demander de bien vouloir me faire savoir si vous pouvez rencontrer l'offre de service de"… Cette tournure de phrase, pour le moins alambiquée, a eu le don d'énerver ce patron de PME de la région de Sambreville, qui n'apprécie pas du tout qu'un député-bourgmestre vienne mettre le nez dans son processus de recrutement. Il croyait cette méthode "d'un autre âge". Jean-Charles Luperto parle d'un coup de pouce aux citoyens qui doivent prouver au Forem qu'ils ont effectivement postulé.
Le clientélisme politique, cette notion qui évoque des faveurs accordées par des élus à des citoyens en échange d'un vote, existe depuis l'Antiquité.
La faveur accordée peut être un emploi, généralement dans le secteur public. Il n'est pas un secret que certaines personnes reçoivent un emploi dans une commune, parce qu'elles connaissent tel ou tel bourgmestre, tel ou tel échevin. Souvent sans contrepartie directe, mais avec la ferme intention s'attirer les faveurs d'une famille, d'un groupe de personnes, voire d'une catégorie sociale.
Si Philippe, un patron de PME de la région de Sambreville, a contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous, c'est parce qu'il se pose cette question: le clientélisme a-t-il atteint le secteur privé ?
Un courrier "surprenant"
Philippe dirige une petite entreprise dans près de Sambreville, dans le Namurois. "On fait de l'outsourcing commercial, on fait de la vente pour des télécoms, pour de l'énergie ou pour des assurances". Pour faire simple, il s'agit d'un genre de call-center qui démarche des clients au nom d'entreprises à la recherche d'abonnements ou de contrats.
Sa PME emploie tout de même "une dizaine de personnes, mais on a besoin de cinq personnes supplémentaires, donc on a deux ou trois annonces qui tournent".
C'est dans ce contexte qu'il a reçu un courrier qu'il qualifie de "surprenant", signé par Jean-Charles Luperto en sa qualité de "Député-Bourgmestre de Sambreville".
"Actuellement, nous recrutons du personnel administratif et des conseillers commerciaux. Nous avons reçu ce matin un courrier du député M. Luperto avec un CV joint. Monsieur Luperto nous demande si nous allons 'rencontrer l'offre de services' d'une personne qui a postulé".
La lettre reçue par Philippe
"Etrange et dérangeant"
Philippe se dit "interpellé" par cette pratique qu'il pensait être "d'un autre temps", celui du clientélisme dont on a parlé.
D'autant plus qu'il ne connait pas que le nom de Jean-Charles Luperto. "Je n'ai jamais rencontré ce monsieur, et je n'ai aucune affinité avec son parti (le PS, NDLR)".
Il est de plus très étonné qu'un député contacte de la sorte une PME pour lui demander une faveur sous-entendue, à savoir l'engagement d'un candidat que le bourgmestre veut visiblement aider.
"Peut-être que cela se fait dans l'administration, mais je trouve cela assez surprenant de recevoir un courrier pour nous pousser à engager quelqu'un qui n'a aucune compétence. Je trouve cela étrange et dérangeant".
Philippe s'est en effet rapidement rendu compte qu'il s'agissait d'un CV qu'il avait effectivement reçu, et se souvient de la raison pour laquelle il n'y avait pas donné suite. "Ce monsieur n'a aucune expérience, il est en formation en infirmerie, en aucun cas il n'a de l'expérience pour ce poste".
Le CV reçu par Philippe
Que dit Jean-Charles Luperto ?
Nous avons contacté le député-bourgmestre de Sambreville, Jean-Charles Luperto, qui a signé ce courrier. C'est la responsable de la cellule communication de la ville qui nous donné une réponse très… politicienne. M. Luperto rédigerait ce genre de courriers à la demande des citoyens qui doivent prouver au Forem qu'ils postulent.
"Les contrôles renforcés et les exclusions du bénéfice des allocations de chômage angoissent nos concitoyens. Dès lors, ils sont amenés, plus qu'avant encore, à démontrer leurs démarches en matière de recherche d’emploi", nous a déclaré Julie Ranson.
"Avec l’expérience, force est de constater que lorsqu'un élu interroge, il reçoit, lui, plus aisément une réponse. C’est ainsi que quand un citoyen le demande, nous interrogeons l’employeur sur la suite qu’il croit pouvoir réserver à la candidature de telle ou telle personne. Il est évident qu’en aucune façon nous n’interférons sur la procédure ni même sur les processus d’évaluation des candidats... Tout au plus interrogeons-nous sur la suite que l’employeur entend réserver".
Si on ne peut effectivement pas parler de pression sur l'employeur, la tournure de phrase alambiquée de Jean-Charles Luperto (ou plutôt de la personne qui rédige ses courriers), "puis-je vous demander de bien vouloir me faire savoir si vous pouvez rencontrer l'offre de service de…", peut être comprise comme une façon détournée de demander une faveur.
Mais elle n'est pas du goût de Philippe, qui n'en revient toujours pas… "On a déjà eu beaucoup de personnels: dans la vente, ça tourne beaucoup. Mais je n'avais jamais, jamais reçu ce genre de courriers auparavant", conclut le patron de PME.
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