Guillaume, un fonctionnaire chargé d’assurer le traitement des enseignants prend la parole, après la médiatisation de plusieurs cas de retards de paiements des salaires de professeurs en septembre. S’il comprend les enseignants touchés, il pointe l’importante charge de travail et l’outil informatiques jugé obsolète.
Guillaume (nom d’emprunt car il veut garder l'anonymat) est ce qu’on appelle un agent FLT, c’est-à-dire un fonctionnaire fixateur et liquidateur de traitement. En clair, il gère avec plusieurs dizaines de collègues la carrière des enseignants en Belgique francophone. Conscient que le terme même de fonctionnaire est parfois pris de manière un peu péjorative et après les nombreux cas de retards de paiement des salaires des professeurs en début d’année scolaire, il souhaite apporter son éclairage en forme de mise au point: "J'ai lu de nombreux témoignages d'enseignants et même si je comprends leurs réactions, je refuse que l'on jette l'opprobre sur une fonction mal connue de la fonction publique."
En plus des prestations des enseignants, il faut encoder leurs congés, leurs réaffectations, leurs maladies, leurs nominations
Chaque fonctionnaire gère plus de 1000 dossiers
Si Guillaume a pressé le bouton orange Alertez-nous, c’est pour expliquer son travail et les nombreuses difficultés qu’il rencontre au quotidien : "Il faut savoir que nous (les agents FLT) sommes très peu nombreux pour gérer l'ensemble des membres du personnel enseignant et assimilés (psychomotriciens, logopèdes,...). Pour certains d'entre nous, cela représente plus de mille dossiers, donc plus de mille personnes et leurs familles qui attendent d'une seule personne qu'elle fasse son travail sans erreur", nous écrit-il. Outre la grande quantité de dossiers à traiter, Guillaume pointe aussi la pression que tout cela implique : "En plus des prestations des enseignants, il faut encoder leurs congés, leurs réaffectations, leurs maladies, leurs nominations... C'est là que plusieurs problèmes se posent. Il arrive très souvent que pour un minuscule changement en cours d'année, il faille revoir toute la situation d'un enseignant."
Notre programme de paie date des années 70 et notre futur nouveau programme est déjà jugé obsolète par la Cour des Comptes
L'agent dénonce un manque de moyens et d'effectifs
D’après l’agent, les travailleurs de ce service de fixation et de liquidation du traitement du personnel enseignant doivent faire face à un manque d’effectifs et de moyens: "Notre programme de paie date des années 70 et notre futur nouveau programme est déjà jugé obsolète par la Cour des Comptes".
Il réclame dès lors de la compréhension par rapport à des mouvements de grogne que ces problèmes ont déjà provoqué parmi sa profession : "Lorsque mes collègues et moi faisons grève, ce n'est pas par plaisir, ce n'est pas pour embêter les enseignants ! Notre seul but est d'avoir les équipes et le programme qui nous permettrons d'être le plus efficace possible. Nous sommes des êtres humains dont l'efficacité impacte "de facto" la vie d'autres êtres humains. Nous ne sommes pas dénués d'empathie, loin de là ! Nous sommes des fonctionnaires qui veulent faire leur travail correctement et qui sont conscients des implications de leur job sur la vie d'autres personnes".
"Mon but", affirme Guillaume "n’est pas de discréditer notre hiérarchie, mais nous sommes tenus à des dates et des limites auxquels nous ne pouvons déroger", conclut-il.
276 agents pour gérer les dossiers de 158.914 enseignants
Selon les chiffres fournis par l’administration générale de l’Enseignement, en juin 2019, il y avait 276 agents qui se consacraient à la fixation et à la liquidation des traitements et subventions-traitement des membres des personnels de l’enseignement. Ils devaient gérer 158.914 matricules enseignants. Ce qui fait en moyenne 601 dossiers à traiter par poste d’agent à temps plein. Evidemment la charge de travail dépend des dossiers, certains impliquant plus de travail que d’autres.
Administrer la carrière d’un enseignant, c’est assurer sa prise en charge au recrutement, c’est gérer ses changements d’affectation (nombreux en début de carrière), c’est prendre en charge sa stabilisation statutaire, c’est gérer l’ensemble de ses événements de carrière : absences médicales, congés, pertes de charge, gestion des dispositions précédant la retraite, modifications réglementaires touchant sa fonction ou encore modifications des structures scolaires abritant ses prestations.
Est-ce qu’il y a encore des enseignants qui n’ont pas reçu leur traitement ?
D’après l’administration, la résorption des retards a été achevée par le service avec effet sur le compte des personnels, en date du 4 octobre. Elle rappelle aussi que 120.314 autres paiements ont été correctement effectués, "même si ces retards de paiement sont toujours dommageables quel que soit leur nombre."
Les retards de septembre s’expliquent par des erreurs et non par des problèmes de personnel, insistent les autorités. Une procédure d’urgence est établie pour résoudre au plus vite les situations de non-paiement lorsqu’elles sont rapportées.
La charge de travail a-t-elle augmenté ?
Entre 2005 et 2018, il y a eu une hausse de 36,6% du nombre d’opérations manuelles réalisées par les agents FLT. L'augmentation s’explique en partie par la réforme des titres et fonctions en 2016. Ces changements ont complexifié le travail des fonctionnaires mais ils étaient nécessaires, estime l’administration, car ils ont permis de renforcer la professionnalisation des métiers et d’atteindre une meilleure adéquation entre les demandes d’emploi et les offres disponibles dans les écoles. D’autres modifications législatives ont également eu un impact sur la charge de travail.
Le service est-il en sous-effectif ?
Oui, en tout cas au début de la législature précédente, soit en 2014. Mais, tempère l’administration, 52 agents ont été recrutés sur les années 2016, 2017 et 2018. Cela aurait eu pour effet de stopper la dégradation des effectifs. Ces postes ont également été mieux répartis selon les zones géographiques et selon les réseaux et niveaux d’enseignement. 42 recrutements sont en outre prévus pour 2019-2020. L’administration explique encore que des travaux touchant à l’organisation du travail sont en cours. "L’efficience d’un service ne se mesure pas uniquement sur la base des ressources humaines qui y sont consacrées", argumente-t-elle.
Le service dispose-t-il d’assez de moyens pour accomplir ses tâches ?
L’outil de travail des agents FLT date bien des années 70. Le ministère de l’Enseignement indique que le système informatique de paiement remplit ses fonctions "même s’il est obsolète tant au regard de son langage informatique de programmation que de sa plasticité et de son intégration dans une gestion informatique intégrée."
Il avance encore qu’un nouveau système est progressivement déployé : il permet par exemple déjà d’effectuer le paiement des nouveaux engagés dans l’enseignement fondamental depuis septembre 2017.
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