L'arrivée massive d'installations photovoltaïques sur les toits des habitations wallonnes a perturbé un réseau qui n'a pas été conçu pour l'injection d'électricité par des centaines de milliers de particuliers. Avec des conséquences sur la stabilité de ce réseau, et sur les besoins de rénovations des infrastructures des gestionnaires (ORES dans la majeure partie de la Wallonie). L'histoire de Geralde est symptomatique, et permet de faire le point sur l'avenir.
Depuis la fin des années 2000, et grâce à des subsides très généreux à l'époque, de nombreux Wallons ont placé des panneaux photovoltaïques sur leur toit. Selon les zones et même les rues, l'arrivée de ces panneaux a eu des conséquences sur le réseau électrique, qui n'a pas été conçu pour l'injection massive d'électricité de la part des particuliers.
Geralde a contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous pour nous faire part d'un constat personnel: "Dès qu'on a mis en service notre nouvelle installation photovoltaïque, l'onduleur s'est mis en sécurité. La cause: une surtension du réseau électrique".
Le phénomène n'a rien de nouveau, mais il est important de l'expliquer. L'histoire de cet habitant de Bertrix sera notre fil conducteur ; les explications d'ORES permettront de bien cerner le problème, et de mieux comprendre l'importance de la taxe prosumer (pour les propriétaires de panneaux photovoltaïques) qui est prévue pour 2020 (on en parlé il y a quelques mois avec l'histoire d'Ali).
Une "mise en sécurité" immédiate
Geralde vient d'installer des panneaux photovoltaïques sur son toit. Une vingtaine, de quoi couvrir ses besoins annuels, "je n'ai pas cherché à spéculer". Les travaux, d'une valeur d'environ 7.500€, se terminent, et c'est l'heure de tout brancher.
Et là, mauvaise surprise. "Lors de la mise en service, l’onduleur s’est mis en sécurité". Le but de l'onduleur est de convertir le courant continu de l'énergie photovoltaïque issue d'un panneau solaire en courant alternatif. La réglementation wallonne impose de les équiper d'un système de mise en sécurité, et celui-ci s'est déclenché très rapidement.
Qui dit mise en sécurité, dit arrêt de la production d'électricité. Les panneaux ne servent alors plus à rien.
"La cause, c'est une surtension du réseau électrique", explique Geralde, grâce aux explications de l'installateur. "Il y a deux alarmes: à 253 V, il se coupe pour 10 minutes. A 260 V, il se coupe complètement", mais finit par se remettre en route, quand la tension diminue. Au moment de la mise en service de son installation, la tension calculée "était de 260 V", alors que les infrastructures du réseau sont prévues pour envoyer un courant de 230 V vers les habitations.
Le tableau, le compteur et l'onduleur de Geralde (© RTL INFO)
Une solution, mais des questions qui demeurent…
Notre témoin originaire de Bertrix a appelé ORES, le gestionnaire de réseau de distribution de sa région, qui est intervenu quelques jours plus tard. "Ils ont chipoté sur mon compteur électrique, ils ont changé de phase pour les équilibrer, mais il y avait toujours un problème, alors ils ont du intervenir sur la cabine, pour diminuer la tension".
Au final, les choses se sont arrangées assez rapidement pour Geralde. Mais il reste assez circonspect par rapport à plusieurs choses. "Tout d'abord, il y a les détériorations des équipements électriques à cause de cette surtension. Elle provoque également une hausse de la consommation et donc de la facture annuelle. Et enfin, si moi j'ai une installation moderne sur laquelle je peux voir quel est le niveau de production de mes panneaux en direct (et donc si l'onduleur est en sécurité ou non), quel est le nombre d'installations qui se mettent en alarme sans que l'utilisateur ne s'en rende compte ? ORES surveille-t-il les quartiers où la tensions est trop élevée ?"
Le réseau n'a jamais été conçu pour ça…
On s'est tourné vers ORES pour trouver la réponse à ces questions. Et le principal gestionnaire de réseau et distribution de Wallonie (75% des communes) a pas mal de choses à dire à ce sujet.
Un tout petit bout d'histoire pour commencer. "Jusqu'à l'arrivée des panneaux photovoltaïques au milieu des années 2000, il y avait très peu de production d'énergie renouvelable. Le réseau moyenne et basse tension n'était pas conçu pour du courant qui remonte, pour parler simplement", nous a expliqué Jean-Michel Brebant, responsable de la communication du groupe. "Notre réseau a été mis en place pour répondre à la demande des consommateurs, donc pour leur fournir de l'électricité". Pendant des dizaines d'années, les infrastructures électriques ont été conçues et déployées dans cette optique.
Depuis 2009 (la généreuse politique des certificats verts poussant des milliers de Wallons et des centaines d'entreprises à se lancer dans l'aventure photovoltaïque, avec les conséquences qu'on connait), "Ores a du s'adapter". Le gestionnaire ne s'en plaint pas, et veut pleinement "assumer son rôle dans la transition énergétique" en cours, qui encourage les énergies renouvelables. Mais celles-ci (panneaux photovoltaïques chez les particuliers et les entreprises, éoliennes, etc) transforment le schéma du réseau électrique.
Le cas de Geralde, symptomatique: "Il faut intervenir régulièrement sur les cabines"
Le cas de Geralde est symptomatique. "Dans certains quartiers, il y a beaucoup de panneaux solaires sur une même partie du réseau. Le plus souvent, la section de réseau (l'épaisseur des câbles, pour faire simple, NDLR) n'est pas suffisante quand tous ces panneaux injectent de l'électricité et qu'il y a peu de consommation". Typiquement, un lundi d'été très ensoleillé entre 9h et 15h, dans un quartier résidentiel où vivent des familles: les panneaux tournent à plein rendement, mais tout le monde est à l'école ou travaille...
Dans ces conditions, la surtension est inévitable dans la plupart des cas. "Heureusement, les onduleurs sont équipés d'une protection et arrêtent la production d'électricité en cas de problème". Mais à terme, bien entendu, l'idée est de gérer cet afflux d'électricité verte afin de la valoriser, plutôt que d'éteindre tous les panneaux qui produisent trop d'électricité (au mauvais moment).
"Une équipe d'ORES s'est rendue sur place, dans le quartier du client à Bertrix. Elle a du intervenir dans la cabine pour régler la tension", car il y avait constamment trop de tension. "Mais quand les beaux jours seront passés, une équipe devra y retourner sinon il n'y aura plus assez de tension au sortir de la cabine…".
Imaginez le nombre de cabines ayant besoin d'ajustements réguliers sur l'ensemble de la Wallonie, et vous comprenez la situation actuelle chez Ores. "D'autant plus que dans certaines zones où les infrastructures sont plus anciennes, s'il y a trop de producteurs par rapport à la capacité de la cabine, il faut la renforcer, remplacer du matériel".
A terme, ORES a l'ambition d'avoir des cabines "motorisées" et gérables à distance. Mais cela demande des investissements lourds et surtout, "l'adoption du smart grid, c’est-à-dire d'un réseau intelligent avec des compteurs d'électricité connectés qui permettraient de réguler et d'adapter les besoins automatiquement".
Les propriétaires de panneaux photovoltaïques ont une facture proche de zéro
Une nécessaire taxe prosumer
Inutile de préciser que ces interventions et rénovations coûtent des millions d'euros, fatalement répercutés sur votre facture mensuelle d'électricité (dont seulement 30% représente l'électricité en tant que tel). "Nos moyens sont négociés et établis à l'avance, on doit donc trouver l'équilibre entre une facture qui ne grimpe pas de trop au niveau du consommateur, et des investissements dans nos infrastructures".
Se pose alors la question: qui va payer ? Est-ce le consommateur lambda qui n'est pas équipé de panneaux photovoltaïques, ou les propriétaires de panneaux qui, finalement, sont à l'origine des transformations nécessaires d'ORES ?
Actuellement, les calculs sont vite faits. Les propriétaires de panneaux photovoltaïques, "s'ils gèrent bien leur installation et consomment en bon père de famille", ont une facture mensuelle "proche de 0€". Les habitants d'une maison familiale sans panneaux déboursent environ 80€ par mois. Ce sont donc bien eux qui paient la note finale des frais de fonctionnement d'ORES…
Avec le tarif prosumer (entre 300 et 400€ par an pour les propriétaires d'une maison standard équipée de panneaux photovoltaïques), prévu pour 2020 en théorie, la répartition des coûts sera plus proche de la réalité du terrain.
Surtension, sous-tension: quelles conséquences sur votre maison ?
Geralde se demandait également si les installations électriques des particuliers souffraient de ces variations de tensions. Effectivement, nos appareils domestiques sont conçus pour fonctionner avec certaines tensions électriques, on parle de 220V habituellement, avec une certaine marge de tolérance.
En cas de sous-tension, le risque principal est que vos appareils ne fonctionnent plus, comme s'ils étaient débranchés. Votre éclairage peut également diminuer en intensité. Rien de très grave même si certains équipements sont plus sensibles que d'autres, et peuvent être endommagés.
En cas de surtension, c'est nettement plus fâcheux. Les circuits de vos appareils électriques et électroniques qui sont branchés à une prise en prennent un coup. Si la surtension est légère, ces appareils seront faiblement impactés et ce n'est qu'à la longue qu'ils peuvent tomber en panne. Si la surtension est puissante et brutale, comme c'est le cas lorsque la foudre tombe sur une maison, tous vos appareils peuvent partir en fumée (parfois littéralement…).
La surtension provoquée par les panneaux, en théorie, est évitée par les onduleurs qui déconnectent l'installation photovoltaïque du réseau en se mettant automatiquement en sécurité. Mais si ces onduleurs ne fonctionnent pas correctement, la surtension qu'ils provoquent dans certaines conditions peut provoquer des dommages aux équipements.
Quant à l'augmentation de la consommation et donc de la facture, "elle est à la marge", estime ORES, donc très faible si elle existe.
Enfin, le gestionnaire précise que "en cas de doute ou de problème, appelez-nous, on intervient".
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