Après les nombreux signalements de clients qui se sont sentis "bernés" suite à la conclusion de contrats, parfois à leur insu, dans des magasins Switch en Belgique, un ancien employé du groupe français, qui a racheté les boutiques, a décidé de parler. Il confirme les techniques de vente "agressives" dénoncées à plusieurs reprises sur RTL INFO. L’Inspection économique, qui a reçu des dizaines de plaintes dont celle de Test Achats, "enquête" sur ces pratiques.
Nous l’appelons Derrick, car il souhaite garder l’anonymat. Expatrié en France, il a travaillé durant trois ans pour le service clients de la SFAM, groupe d’assurances destinées à la téléphonie et au multimédia, qui a racheté en 2020, les magasins Switch, le plus grand revendeur officiel de produits Apple en Belgique. Avec six autres collègues, il était chargé de répondre aux questions et de résoudre les problèmes des clients belges néerlandophones.
A travaillé car il a récemment décidé d’arrêter… Selon ses dires, il n’en pouvait plus d’avoir le sentiment de "participer à une arnaque". C’est aussi ce qui l’a motivé à livrer son témoignage via le bouton orange Alertez-nous.
Un témoignage qui confirme le ressenti des clients
Nous avons dans de précédents articles relayés le vécu de clients déçus des contrats proposés par Switch. Notamment, l’histoire de Christophe (à découvrir ici), dont l’épouse Valérie est ressortie d’une boutique abonnée, à son insu d’après elle, à plusieurs produits et assurance, après avoir été pressée de signer sur une tablette, alors qu’elle n’y était entrée que pour faire un simple transfert de données entre smartphones. Heureusement, Olivier a pu résilier ces contrats, avant qu’ils ne deviennent payants. Grâce au témoignage de Derrick, nous allons découvrir un autre point de vue, celui d’un ancien travailleur de la société qui était chargé d’aider les clients et qui corrobore largement l’expérience d’Olivier et Valérie.
Plus de 70% des clients qui nous appellent disent qu'ils ne voulaient pas les contrats
Depuis son bureau dans le centre-ville de Paris, ils prenaient les appels des clients de Switch, entre autres. Car ces derniers, dit-il, "repartent avec des contrats de la SFAM, dès qu’ils passent dans un magasin Switch". Au téléphone, selon lui, "plus de 70% des clients disent : je suis venu acheter des produits, je ne voulais pas les autres choses". "C’est à partir de ce moment-là que les problèmes commencent pour les clients", rapporte Derrick.
Le but, pour lui ne fait pas de doute : "C’est de vendre des contrats". Il décrit les pratiques des vendeurs et vient confirmer ce qui avait déjà été dénoncé dans nos articles. Par exemple, "quelqu’un passe dans une boutique pour acheter un appareil ou un accessoire. Avant de payer, il est ‘obligé’ de signer digitalement la tablette pour les trois contrats". C’est également ce qu’avait confié Olivier. Trois contrats aux noms de Cyrana, un programme de fidélité, Hubside, un abonnement pour la création d’un site web et d’autres services, et Celside, une assurance pour smartphone.
Pour Derrick qui a traité des centaines d’appels de clients, c’est une technique bien rôdée : "certains clients ne se rendent même pas compte qu’ils signent des contrats, ils ne lisent pas, signent vite fait ou n’ont pas la possibilité de le faire. A d’autres, on parle d’un mois d’essai sans explications des produits". "Le vendeur leur demande leur numéro de compte IBAN. Certains clients demandent pourquoi. L’associé de vente répond que c’est pour verser le cashback (des réductions après achat de produits) mais ce n’est pas le cas", poursuit Derrick.
J’ai parlé à une cliente aveugle. Ils l’ont obligée à signer. Il y a des histoires qu’on n’oublie pas.
D’après notre témoin, les problèmes ont véritablement commencé après le rachat des magasins Switch, il a constaté, selon ses dires, une très forte hausse des appels de clients mécontents. Et "de temps en temps, cela faisait vraiment mal au cœur". Des exemples ? Il en garde plusieurs gravés dans sa mémoire, dont un particulièrement édifiant qu’il qualifie de déclic pour décider d’arrêter : "J’ai parlé à une cliente aveugle. Elle a acheté un iPhone adapté et ils l’ont obligé à signer. Il y a des histoires qu’on n’oublie pas. C’était une journée noire".
Derrick partage d’autres situations parlantes : un adolescent qui vient chercher des produits commandés par l’un de ses parents. "Le jeune signe sur la tablette avec le nom de l’adulte, mais les coordonnées bancaires du mineur sont reprises dans les contrats. C’est n’importe quoi", commente-t-il. Et cette autre "pratique" qui a tendance à se développer pour attirer les clients : "certaines personnes sont appelées pour recevoir gratuitement une batterie externe. Et en magasin pour la recevoir, elles sont invitées à signer sans trop d’explications".
Une pression pour essayer de maintenir un maximum de contrats
Aujourd’hui, Derrick se dit soulagé, même s’il lui a fallu du temps avant d’"oser" quitter cet emploi. Il n’arrivait plus "à défendre les produits et convaincre les clients". Il considère que les méthodes utilisées "ne sont pas honnêtes". Il va plus loin : il commençait à avoir le sentiment de participer à une fraude. L’ancien employé de la SFAM s’explique : "il y avait une pression. Pression pour essayer de maintenir un maximum de contrats", qui selon lui est devenu beaucoup plus importante, après le rachat des magasins Switch.
La logique est simple : les employés du service clients sont payés d’une part avec un montant fixe, assez bas, nous dit-il. Le salaire est complété par des commissions, en fonction du volume de maintien des contrats. "On ne travaille pas pour le fixe, mais pour les bonus", conclut Derrick sur ce point. Le principe serait le même dans les magasins : les travailleurs reçoivent un fixe et des commissions : quelques euros supplémentaires par contrat signé.
Il est plus facile de résilier si vous prononcez l'un de ces trois mots: avocat, police et boutique
Dans les faits, quand un client appelle son service, c’est très souvent pour résilier un ou plusieurs abonnements. La consigne, dit Derrick, "est d’essayer de faire croire que ce n’est pas possible et si le client insiste, on tente de le convaincre de passer à une plus petite formule, tout en reparlant de l’avantage cashback".
Mais confie Derrick, il est possible de résilier plus facilement si vous prononcez un de ces trois mots : "Avocat, police et (retour en) boutique. Ils ne veulent pas qu’un client aille dans un magasin en étant énervé, c’est mauvais pour l’image… ».
"Des remboursements et des cadeaux qui n'arrivent pas"
Le mois de décembre 2021, juste avant qu’il n’arrête ce travail, a été "le plus stressant de sa carrière". Derrick raconte que les plaintes de clients ont été nombreuses, notamment parce que le premier prélèvement a été réalisé avant la fin du premier mois d’essai gratuit. "Et ce n’est pas la première fois que cela arrive". Il considère d’ailleurs que "c’est une pratique volontaire". Et quand les contrats sont effectivement annulés, "nous, employés, on s’occupe de la résiliation, mais le remboursement, ce n'est pas nous qui le faisons, cela prend des semaines, des mois,… ".
Les délais sont aussi perçus comme interminables, en ce qui concerne les fameux cashbacks ou les cadeaux, du côté des clients. A cet égard, nous avons recueilli le témoignage d’Idriss. En août dernier, il a, en connaissance de cause lui, souscrit à un contrat dans un magasin Switch. Il se dit content des conditions qu’on lui a exposées, notamment le bon à valoir qu’il a dépensé pour acheter une Apple Watch. Problème, il n’a pas encore vu la couleur, ni de l’Apple Watch achetée avec la réduction, ni des autres cadeaux dont il devait bénéficier selon les termes de la convention : un Bongo d’une valeur de 110 euros et un iPad.
Idriss a donc décidé de contacter le service client, celui pour lequel derrick travaillait justement, mais côté francophone cette fois. "Ce service ne m’a pas aidé du tout. Lorsque j’ai demandé pourquoi je n’avais pas reçu le Bongo et l’iPad, l’employé ne savait pas répondre. Il m’a dit ce lundi 7 février que mon iPad n’avait toujours pas été envoyé. Lorsque je lui ai demandé de résilier mon abonnement, il m’a dit d’attendre car ça risque de compromettre l’envoi de mon iPad. Donc, ils essaient de me manipuler pour que je reste client plus longtemps", considère l’habitant de Manage. Il conclut qu’il est "encore tôt pour crier à l’arnaque". Mais "si je ne le reçois pas alors ils n’auront pas respecté leur contrat. Et leurs méthodes pour vous garder, lorsque vous les appelez pour résilier, en vous menaçant de garder vos cadeaux ne me plaisent pas du tout".
La légalité des contrats signés, avec des cases pré-cochées à l'avance, remise en question
Derrick pointe également la manière dont les contrats sont signés par les clients, sur une tablette. Sans réelle possibilité de prendre le temps de les lire. Les documents sont envoyés ensuite par mail. Sur ces contrats, des cases qui activent des options supplémentaires payantes ou qui déterminent un abonnement plus étendu, sont aussi la plupart du temps cochées à l’avance.
En ce qui concerne cette pratique des cases pré-cochées qui aboutissent à des payements supplémentaires. La manœuvre semble à priori illégale.
L’article VI.41 du Code de droit économique stipule ainsi : "Avant que le consommateur soit lié par un contrat ou une offre, l'entreprise doit obtenir le consentement exprès du consommateur à tout paiement supplémentaire à la rémunération convenue au titre de l'obligation contractuelle principale de l'entreprise. Si l'entreprise n'a pas obtenu le consentement exprès du consommateur, mais qu'il l'a déduit en ayant recours à des options par défaut que le consommateur doit rejeter pour éviter le paiement supplémentaire, le consommateur a droit au remboursement de ces montants payés".
Le consommateur doit donc avoir la possibilité de cocher ou non ces cases, ce qui ne semble pas être toujours respecté lors de la signature électronique des contrats évoqués plus haut.
Cette façon de faire pourrait également être considéré comme une forme de pratique commerciale agressive et déloyale, sur la base des articles VI.101 à VI.103 du Code de droit économique.
Des centaines de plaintes de clients recensées
Aux côtés des témoignages de Derrick, ancien employé, et d’Idriss, en tant que client, force est de constater que le nombre de plaintes sur ces pratiques se multiplient. L’Inspection économique a reçu 154 signalements relatifs aux entreprises Switch Holding et Hubside Belgium, pour des produits et services proposés en ligne, par téléphone ou dans les boutiques Switch et Hubside Store. Une "enquête" étant en cours, le Service public fédéral Economie ne peut fournir d’autres informations dans ce dossier.
Test Achats reçoit également de nombreuses plaintes. L’association de défense des consommateurs en comptabilise 466 depuis septembre 2020. Pour le seul mois de décembre 2021, l’organisation a recensé 53 plaintes, 57 en janvier 2022 et déjà 48 pour les deux premières semaines de février.
Les plaintes ont trait à la conclusion “forcée” de certains contrats. Lors de l’achat d’un produit, le consommateur se voit proposer une assurance gratuite durant un mois ou se voit promettre un cashback. On lui demande de signer divers documents sans explication claire et sans lui donner le temps de les consulter. On lui demande aussi son n° de compte IBAN (pour pouvoir lui verser le cashback). Par après, le consommateur est informé par différents mails qu’il a souscrit un contrat d’assurance d’une durée d’un an, un abonnement à une carte cadeaux ou encore un abonnement visant à la création d’un site internet. Le montant cumulé de ces différents abonnements se monte régulièrement à plus de 200 euros par mois.
Test Achats porte plainte auprès de l'Inspection économique
“Les témoignages de consommateurs, qui ne sont pas du tout informés ni du type d’abonnement souscrit, ni du coût de ces différents abonnements sont tellement nombreux qu’on ne peut que conclure qu’il s’agit d’une stratégie bien rodée de la part des sociétés Switch/ SFAM", souligne Julie Frère, porte-parole de Test Achats.
C’est pourquoi l’association a décidé à son tour de porter plainte auprès de l’Inspection économique mais également de la FSMA, l’Autorité des services et marchés financiers, contre les sociétés Switch et SFAM.
Test Achats estime par ailleurs que les contrats n’ont pas été valablement conclus et recommande dès lors aux consommateurs concernés de contacter leur banque pour bloquer la domiciliation et exiger le remboursement des sommes déjà déboursées.
A noter que les consommateurs témoins de pratiques trompeuses peuvent les signaler au point de contact du SPF Economie via https://pointdecontact.belgique.be.
En cas de litige avec une entreprise, le consommateur peut également solliciter l’intervention du Service de médiation pour le consommateur dans le cadre d’une procédure extrajudiciaire : https://mediationconsommateur.be/fr.
Nous avons tenté de joindre un responsable de la SFAM et des magasins Switch. Jusqu’ici sans succès. Interpellée dans le cadre d’un précédent article sur la problématique en 2021, la direction des boutiques Switch avait estimé qu’il s’agissait "d’incidents isolés". Elle avait affirmé à l’époque "avoir renforcé la formation des vendeurs et les procédures, et organisé l’intervention de mystery shoppers, afin d’identifier les points à améliorer".
! MISE A JOUR 23 FEVRIER !
Une agence de communication servant d'intermédiaire entre la direction (qui reste anonyme) nous a envoyé un email avec une réaction, après la parution de l'article. En résumé, la direction ne reconnait nullement la stratégie qui semble être celle de certains vendeurs des magasins Switch. Elle "condamne toute forme de vente forcée", "va mener une enquête interne". Elle précise même que "toute vente ne respectant pas les critères qualité et les process est proscrite et le non-respect de ce principe entraîne des sanctions pécuniaires et disciplinaires". Le groupe appliquerait "une tolérance zéro à l’égard de ce genre de pratiques car la satisfaction client est sa priorité absolue".
Cela signifie deux choses: soit les vendeurs touchent de si belles commissions qu'ils adoptent eux-mêmes des techniques déloyales, derrière le dos de la direction ; soit la direction nous ment ouvertement et encourage ces pratiques afin de gonfler artificiellement son chiffre d'affaire.
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