La localité de Quiévrain dans le Hainaut est située à proximité de la frontière avec la France, ce qui lui vaut les visites incessantes de nos voisins attirés par le prix du paquet de cigarettes, entre 1,5 et 2 euros moins cher. Un afflux qui réjouit les autorités communales, mais moins Mathieu pour qui la ville est devenue "invivable".
Mathieu vit depuis plusieurs mois à Hensies dans le Hainaut près de la frontière française et passe fréquemment par la ville toute proche de Quiévrain. Le spectacle dont il est le témoin à la rue de Valenciennes le fait sortir de ses gonds. "La ville est devenue invivable, insupportable, nous sommes envahis par les Français à cause des night-shops pour la vente du tabac", nous écrit-il via la page Alertez-nous. En effet, il suffit d’un tour sur Google Street View pour se rendre compte que la rue principale de Quiévrain est principalement bordée de magasins de tabac. La raison de cette profusion: la différence de prix du paquet de cigarettes entre la Belgique et la France, loin d'être négligeable.
Plusieurs centaines d'euros économisés en un an pour le fumeur français
Chez nous, le prix d'un paquet standard de 19 cigarettes tourne autour des 5 euros pour les marques les plus vendues (5€ pour Camel, 5,5€ pour Marlboro, par exemple). Chez nos voisins, le même paquet standard contient 20 unités, soit une cigarette de plus, mais coûte entre 1,5 et 2 euros plus cher parmi les marques les populaires (6,9€ pour Camel, 7€ pour Marlboro, par exemple). Nous avons fait un petit calcul. En ramenant le prix à celui d'une cigarette Camel, et en supposant qu'il fume un paquet de 20 cigarettes par jour, le fumeur français aura dépensé 2484 euros. Mais, s'il va les acheter à Quiévrain, il ne dépensera que 1893,6 euros, soit... 590,4 euros d'économie. De quoi se payer un beau voyage. Mais pas assez pour financer une chimio en cas de cancer, diront certains...
+45% de nouveaux commerces de tabac en 5 ans
Mais revenons à Quiévrain et à notre témoin, Mathieu. Certains jours, le samedi en particulier, il lui faut un long moment pour traverser la ville. "Je me suis demandé pourquoi car il n’y a pas de feu rouge. J’ai compris en arrivant dans la rue que les Français qui viennent acheter leur tabac s’arrêtent en double file et bloquent toute la circulation. Quand on veut aller au restaurant, ça pose problème aussi, il n’y a plus aucune place pour se garer", nous raconte-t-il.
Cet afflux massif a entraîné une explosion du nombre de night-shops et commerces de tabac: + 45% en cinq ans, chiffre Benjamin Lembourg, président de l’association des commerçants de Quiévrain.
La bourgmestre réfute le manque de places pour se garder: "Le problème, c’est que les gens veulent se garer pile en face"
Si la bourgmestre de la commune, Véronique Damée, ne conteste pas cette augmentation, par contre, elle n’accepte pas que des gens, comme Mathieu, se plaignent du manque de places de stationnement. "On vient de refaire plusieurs parkings. Il y en a un de 150 places au centre d’animation, un de 17 places un peu plus loin, un autre rue de Valenciennes, un grand près du terrain de football. Il y a aussi le parking de la gare qui est très grand, mais il n’y a jamais personne qui s’y gare. Le problème, c’est que les gens veulent se garer pile en face devant l’endroit où ils doivent se rendre et ne veulent pas se garer un peu plus loin et marcher", objecte-t-elle.
"Quiévrain vit beaucoup grâce aux Français donc on ne va pas les empêcher de venir"
En ce qui concerne les problèmes de circulation et les embouteillages qui peuvent être importants les samedis, la commune ne peut rien faire car la rue principale n’est pas une route communale, c’est la région qui en a la charge. "On a déjà demandé à la région d’améliorer la signalisation de la route principale mais ce n’est pas encore fait. On a demandé des règlementations pour le passage des poids-lourds et on nous a promis qu’elle serait bientôt mise en place", ajoute Mme Damée. Mais la bourgmestre ne veut pas non plus que les Français ne se sentent plus les bienvenus. "Beaucoup de Français des communes limitrophes viennent acheter des produits chez nous, il y a beaucoup de demandes. Quiévrain vit beaucoup grâce aux Français donc on ne va pas les empêcher de venir."
La diversité des commerces diminue
Mais, la ruée française ne profite pas à toute la ville. Centrée sur le tabac, elle entraîne une baisse de la diversité. Pour Mathieu, la prolifération des magasins de tabac a un autre aspect négatif: ils prennent la place des commerces dits traditionnels comme les papeteries, les fleuristes,... Benjamin Lembourg, président de l’association des commerçants de Quiévrain, nous confirme que les commerces "classiques" sont beaucoup moins nombreux qu’il y a quelques années et qu’ils ont laissé la place aux magasins de tabac. "Si le nombre de commerces de tabac a augmenté de 45%, dans le même temps le nombre de commerces traditionnels a diminué de 40%. Le magasin ‘historique’ Dochez-Hotton, dont la famille a toujours habité dans la commune, n’a plus trouvé de clientèle adéquate et a fermé son magasin de Quiévrain pour le rouvrir trois kilomètres plus loin", explique-t-il.
La police affirme n'avoir jamais reçu aucune plainte contre les magasins de tabac et le trafic automobile qu'ils génèrent
Le commissaire en charge de Quiévrain, M. Vollbracht, nous explique n’avoir jamais reçu de plainte contre ces magasins de tabac et la circulation qu’ils amènent. "Le seul problème qu’on relève lors de certains contrôle concernant les magasins de tabac, c’est le non-respect des heures de fermeture. Ils doivent normalement être fermés pour 3h du matin, mais certains commerçants tirent sur la corde car ils ont encore des clients", précise-t-il.
Une bande de jeunes à une station essence: insécurité "subjective" déclare la police
Selon le président de l’association des commerçants, les commerces de tabac amènent aussi à Quiévrain une clientèle différente qui dérange les riverains. Une bande de jeunes, notamment, cause de gros problèmes. "Ils ont déjà saccagé à plusieurs reprises le club de foot de Quiévrain. Comme ils squattaient la pompe à essence, Shell a décidé de fermer la boutique et de ne plus mettre qu’une pompe automatique. Les jeunes ont donc ‘pris possession’ de ce lieu et plus personne n’ose aller y prendre son essence", explique-t-il. Et Mathieu de confirmer: "Avant, il y avait souvent la file là pour aller prendre de l’essence, maintenant il n’y a plus personne. Même moi, en tant qu’homme, j’ai peur d’y aller et qu’ils s’en prennent à ma voiture ou à moi". Du côté de la police, on nous dit ne pas être au courant de gros problèmes avec une bande de jeunes. "Il y a effectivement des jeunes qui se rassemblent mais les gens ont vite un sentiment subjectif d’insécurité alors qu’il n’en est rien. On vous a parlé du club de foot, mais les bâtiments sont à l’abandon depuis plusieurs années."
Les commerçants qui ont encore un magasin à Quiévrain ne se laissent pas abattre et veulent donner un nouveau souffle à leur ville. Ils sont une centaine et organisent des activités pour redynamiser Quiévrain à différents moments de l’année et espèrent que les habitants continueront à répondre présent. "Il y a la braderie brocante en juin, le Marché de Noël et les floralies en avril, à chaque fois, c’est un succès", conclut Benjamin Lembourg.
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