Un symbole, un hashtag: c'est suffisant pour rassembler "des milliers de personnes" qui se sont donné pour mission de lutter contre le mouvement LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres), à travers des commentaires dénigrants, des publications injurieuses et des rassemblements virtuels. Cathalina, une jeune fille de 18 ans originaire d'Ellezelles, tient à alerter l'opinion publique.
TikTok est LE réseau social préféré des jeunes, connaissant un succès gigantesque depuis son lancement en Europe en 2017. La plateforme de partage de courtes vidéos sur fond musical (généralement tournées en mode selfie et en dansant) a récemment atteint le milliard d'utilisateurs dans le monde - et n'oublions pas qu'il n'est pas disponible en Chine, où l'entreprise ByteDance originaire de Pékin utilise une autre application respectant les règles locales.
Comme toujours, quand un milliard de personnes utilisent un réseau social pour du divertissement, cela attire des escrocs et faux comptes en tout genre, mais il faut aussi s'attendre à une prolifération de contenus haineux. Et tout peut vite déraper, car même si ça ne concerne que 1% des utilisateurs (c'est un exemple), ça fait tout de même 10 millions de comptes potentiellement problématiques…
Cathalina dénonce de la haine envers la communauté LGBT
Ce que Cathalina nous a signalé via le bouton orange Alertez-nous fait partie de ces contenus haineux diffusés via TikTok. "Ça me semble incroyable au 21e siècle, mais actuellement sur TikTok on constate une vague de haine contre les homosexuels. Il y a un groupe qui est reconnaissable via des symboles sur les photos profils et les commentaires, et via l'utilisation du hashtag #GVNG", prévient-elle.
Notre témoin a 18 ans et habite Ellezelles, dans le Hainaut. Elle constate ça depuis le début de l'année 2021. "Il y a même des influenceurs qui ont évoqué le problème. Au début, je me disais que ce n'étaient que quelques gamins sur TikTok, mais non. J'ai vu de plus en plus de commentaires, notamment dans des lives (c'est-à-dire lorsqu'un utilisateur passe 'en direct' sur TikTok)". "Des milliers de personnes se sont visiblement rassemblées, en Belgique et en France, et utilisent le #GNVG. Ils s'appellent entre eux 'les soldats' et disent pathétiquement qu'ils vont 'gagner la guerre'. Pour y parvenir, ils insultent dans les commentaires", ils dénigrent via des publications haineuses des profils LGBT.
Cathalina n'est pas directement victime de ces attaques, ni son entourage direct. "C'est juste un 'mouvement' que je constate et qui prend de l'ampleur, et ça m'inquiète, car on ne se rend pas compte de l'influence que ça peut avoir sur des jeunes".
Elle nous a envoyé des copies d'écran :
Cathalina signale ces contenus, TikTok ne réagit pas
Notre jeune témoin ne s'est pas contentée de prévenir la rédaction de RTL info. "Je signale régulièrement ces commentaires, ces publications. Mais j'ai toujours des réponses automatiques, et le plus souvent, il ne se passe rien, ou alors j'ai un retour négatif, disant qu'il n'y a pas de problème", déplore-t-elle.
Nous avons parcouru des contenus TikTok (tout le monde peut le faire, même sans compte, via https://tiktok.com), et effectivement on y trouve de nombreuses publications avec le #GNVG. Elles ont généré 284.000 vidéos vues. Il y est question, comme le précisait Cathalina, d'un 'combat' d'une communauté qui dit rassembler 'des milliers de personnes', contre la communauté LGBT. Ou plus précisément, d'après ce que sous-entendent plusieurs publications, 'contre l'influence de la communauté LGBT et la promotion de leur mouvement'.
Ces 'membres' manifestent également leur intolérance vis-à-vis de toute ce qui sort du schéma de l'hétérosexualité: ils se moquent des garçons qui se maquillent ou s'habillent en fille, ils sous-entendent que les autres formes de sexualité sont des déviances. Ils disent aussi "vouloir la vérité" (sans dire laquelle), "la normalité" et "ne pas être homophobe". Bref, il y a des côtés assez confus et le mouvement semble complètement déstructuré et anarchique.
Il y a cependant des copies d'écran de discussions de certains membres GNVG évoquant des 'raids', des sortes de rassemblements virtuels. Concrètement, des personnes se mettent d'accord via une messagerie privée pour aller publier le plus possible de commentaires sous un message, une photo ou une vidéo (s'il le faut en multipliant les comptes auprès de TikTok) pour critiquer, dénigrer ou insulter. Ce qui a pour dommage collatéral de "pourrir" une publication, nuisant davantage à son auteur.
Que peut faire TikTok ?
La situation est délicate pour les réseaux sociaux (pas uniquement TikTok), qui doivent trouver l'équilibre entre liberté d'expression, censure des discours haineux et… rentabilité de la plateforme basée sur son nombre d'utilisateurs.
Pour faire simple, on a le droit de penser (et d'exprimer dans certaines mesures) des idées intolérantes, mais on n'a pas le droit d'appeler à des violences, physiques ou verbales, envers une communauté, quelle qu'elle soit. Ces domaines sont très sensibles, et il y a matière à interprétation. On navigue entre le droit, l'éthique et même la philosophie.
Raisons pour lesquelles Facebook a ses Standards de la communauté, et TikTok a ses Règles communautaires, à lire ici en français. Celles-ci "incluent un ensemble de normes et définissent un code de conduite commun sur TikTok". Afin de créer "un espace accueillant pour tous, ces Règles fournissent des indications générales sur ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas sur la plateforme".
Parmi les comportements haineux, TikTok évoque les 'attaques contre des groupes protégés' (dont les questions de genre et d'orientation sexuelle), les propos injurieux et les idéologies haineuses. A bien lire les règles, il semble évident que les contenus de cette communauté GNVG, appelons-la comme ça, devraient être supprimés, et les comptes suspendus. Mais ce n'est pas le cas, comme l'a constaté Cathalina.
Nous sommes profondément engagés à maintenir un environnement accueillant
TikTok: "Nous avons agi"
Nous avons soumis le problème de cette communauté GNVG à TikTok. L'entreprise chinoise, qui a des bureaux un peu partout dans le monde, n'a pas donné beaucoup de détails par rapport aux copies d'écran envoyées par Cathalina, ni son avis précis par rapport à leur légitimité. TikTok semble "agir" au cas par cas.
"Nous sommes profondément engagés à maintenir un environnement accueillant pour notre communauté d'utilisateurs. Nos règles de communautés s'appliquent à tout le monde et tout les contenus partagés sur TikTok. Nous avons agi face aux contenus qui enfreignent nos règles", nous a écrit un porte-parole de l'entreprise.
Pour toutes nos autres questions, comme il est de coutume avec les réseaux sociaux, TikTok nous a fait des copiés-collés de paragraphes des 'Règles de communauté' évoquées ci-dessus. Nous retenons que les contenus (vidéos, directs, commentaires) sont surveillés par "une alliance de technologies et de modération humaine" avant leur publication, tout en permettant aux utilisateurs "d'utiliser l'outil de signalement pour tous les contenus (déjà publiés) qu'ils estiment contraires aux Règles de la communauté".
En conclusion, quand les infractions étaient facilement identifiables, certains contenus ont été supprimés par TikTok, certains comptes ont été suspendus. Force est de constater, cependant, qu'il en reste beaucoup liés à ce #GNVG et au symbole avec les éclairs. A la décharge de TikTok, il faut reconnaître que certaines tournures de phrases (écrites sur des vidéos où les auteurs ne montrent jamais leur visage), certains propos relayés et énoncés en français, prêtent à confusion et ne sont pas explicitement des injures homophobes. Tout cela complique fortement la tâche des modérateurs, voire la rend impossible, surtout s'ils doivent tout lire et tout écouter pour déceler les sous-entendus.
> CORONAVIRUS EN BELGIQUE : où en est l'épidémie ce mercredi 13 janvier ?
Vos commentaires